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Nouvelliste et romancier, Georges-Olivier Châteaureynaud prend ici la plume de l’essayiste pour un vagabondage littéraire parmi les livres et les auteurs dont il se sent proche, du XIXe siècle à nos jours, classiques ou contemporains. C’est aussi un hymne au livre qui transmet les légendes et les connaissances, la beauté et l’évasion, les observations et les révoltes, de siècle en siècle, depuis les manuscrits les plus anciens. « Dans notre lutte contre la perte et l'oubli de tout, nous usons d'armes paradoxales. Le fragile papier dure plus que le granit. C'est qu'il se prête à la duplication, à la multiplication, à la dissémination. […] A-t-on vraiment perdu une phrase, une ligne, depuis l'invention de l'imprimerie ? Naïfs nazis, gourdifles en chemise brune ! Brûler un livre, c'est brûler Phénix. » Gourdifles ! Bel exemple de transmission des richesses de la langue… Les deux premières parties de l’ouvrage se complètent et se répondent : « Le fanstastique malentendu » et « Le fantastique bien entendu ». « Il faudrait, chaque fois que paraît un roman d’un auteur confirmé, relire en même temps son tout premier. » C’est ce que nous propose la troisième partie de ce livre consacrée à « Quatre romans d’Hubert Haddad », d’Armelle ou l’éternel retour commencé en 1969 à Palestine paru en 2007, en passant par Perdus en un profond sommeil (1986) et Le ventriloque amoureux (2003). C’est passionnant de suivre ainsi le parcours d’écriture d’un auteur sur cinquante ans, de le voir choisir différents angles pour révéler l’authenticité et la personnalité de son imaginaire, sa façon si particulière de greffer sa fiction sur le réel. Une belle étude, précise et concrète. Georges-Olivier Châteaureynaud fait ensuite la part belle à « Trois réalistes », des auteurs bien connus des fidèles d’Encres vagabondes, Pascal Garnier , Marie-Hélène Lafon et Annie Saumont, trois auteurs dont nous avons présenté de nombreux ouvrages et que nous avons rencontrés pour des entretiens. L’essayiste présente Pascal Garnier comme le « maître du roman gris », Annie Saumont comme « une extraordinaire mécanicienne », et met en lumière chez Marie-Hélène Lafon « une insularité de pleine terre ». Là encore, la qualité de l’analyse est au rendez-vous.L’auteur évoque ensuite des souvenirs plus personnels, des rencontres avec un jeune poète en 1968, Élie Delamare-Deboutteville, ou avec son premier éditeur Bernard Privat (qui a dirigé Grasset de 1955 à 1981). Il avoue avoir volé des livres pour découvrir la littérature contemporaine tant le désir était fort malgré ses finances de jeune homme pauvre qui ne lui permettaient pas d’acheter Breton, Desnos, Artaud, Michaux ou Gracq. « Je dois avoir appartenu à la dernière génération capable de prendre des risques, si minces fussent-ils, pour s'approprier délictueusement les ouvrages d'écrivains français. » Il évoque ensuite la place de « la nouvelle » dans le panorama littéraire actuel, la difficulté de les publier pour cause de ventes insuffisantes malgré quelques exceptions notables, mais aussi l’extrême diversité du genre, de nombreux auteurs y consacrant tout de même une partie de leur énergie pour en révéler toute l’étendue du registre. Et la poésie ? L’auteur affirme être arrivé à « un rapport apaisé » avec elle depuis qu’à l’âge de vingt-trois ans il a fini d’en écrire, trouvant dans la prose un espace plus aisé pour développer ses fictions. Mais il ne l’a pas quittée de l’œil et nous le prouve en évoquant ce qui en fait l’essence aujourd’hui. La dernière partie est consacrée au roman si malmené dans les années 60-70, époque où Georges-Olivier Châteaureynaud et ses amis entraient en littérature. « Avoir vingt et quelques années et vouloir écrire, en 1970, revenait à courir aux abris sous le bombardement des théories. » Les jeunes auteurs ont dû réfléchir à la légitimité de la fiction, d’une nouvelle fiction, pas seulement dans la forme mais aussi dans le fond. Une sorte de devoir d’exigence qui n’est pas toujours de mise aujourd’hui parmi les piles de best-sellers… Vagabondage littéraire, donc, dans ce livre très agréable à lire grâce au style si personnel de l’auteur, une plume acérée sous une apparente bienveillance, avec une bonne dose d’humour et d’autodérision, et passionnant pour cette évocation de la littérature fantastique d’hier et d’aujourd’hui et cette réflexion permanente sur le lien entre le fond et la forme que ce soit dans la poésie, la nouvelle ou le roman. On lit cet essai avec bonheur et on en sort enrichi. Ce n’est pas le cas si souvent, ne nous privons pas de cette opportunité. Serge Cabrol (05/06/19) |
Sommaire Lectures Albin Michel (Septembre 2018) 224 pages - 18 €
Wikipédia Lire sur notre site un entretien avec G.-O. Chàteaureynaud et des articles concernant d'autres livres du même auteur : Au fond du paradis Mécomptes cruels Les intermittences d'Icare Singe savant tabassé par deux clowns L'autre rive De l'autre côté d'Alice Le corps de l'autre La vie nous regarde passer Jeune vieillard assis sur une pierre en bois C'était écrit Le goût de l’ombre Aucun été n’est éternel Ego, Ariel et moi |
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