Georges-Olivier CHÂTEAUREYNAUD

De l'autre côté d'Alice


Ce sont trois textes d’une trentaine de pages qui composent ce recueil, à la fois hommages et contre-pieds aux ouvrages de Lewis Carroll, de James Matthew Barrie et de Carlo Collodi. Des fictions qui réjouiront les inconditionnels de cette écriture à la fois classique et très actuelle avec laquelle Georges-Olivier Châteaureynaud construit patiemment une œuvre importante comprenant aujourd’hui une bonne vingtaine de romans et de recueils de nouvelles.

Le premier texte, De l’autre côté d’Alice, met en scène le révérend Charles Dogson, clergyman et professeur de mathématiques, auteur d’Alice au pays des merveilles sous le pseudonyme de Lewis Carrol.
Ce soir-là, le révérend s’aventure dans les rues mal famées de l’East End de Londres à la recherche du Blue Rabbit, un de ces lieux inavouables dont lui a parlé Bertie Dennis le garçon c/oiffeur d’Oxford. « Au Blue Rabbit, tout est possible, il n’y a qu’à demander, et à allonger la monnaie, ça va de soi… »
Tout demander ? Une petite Alice par exemple… Tout est possible, on lui amène une fillette.
Une fois dans la chambre, il lui parle de poésie, lui raconte les aventures du lapin blanc, mais ce n’est pas pour écouter des histoires que cette Alice est payée et comme elle est consciencieuse…
Très vite, l’histoire tourne mal et le révérend se retrouve dans la rue, délesté de son argent.
Pendant les dix ans qui suivent, le révérend se noie dans le travail pour oublier cette triste équipée. Mais une certaine fin d’après-midi de novembre, une jeune femme vient frapper à sa porte…

Angus Lamb est « un homme très riche, un esthète, un artiste aussi, à sa manière » qui engage des comédiens pour une adaptation un peu particulière de Peter Pan. Le contrat précise « que la pièce ne serait jouée qu’une seule fois et que cette représentation unique s’effectuerait en l’absence de tout public. » De plus, « la représentation se déroulerait non dans le temps intensif du théâtre mais dans le temps extensif de la vie. »
Bien évidemment, Angus Lamb tient lui-même le rôle de Peter pan.
L’adaptation en grandeur réelle et décors naturels est un mélange de création artistique et d’aventure bling-bling, avec un ballon dirigeable « aux flancs frappés en lettres d’or du nom de la Never-Never-Never Company », un jet privé « qui n’avait rien à envier aux palaces volants des émirs du pétrole » et une île paradisiaque pour figurer le pays de Jamais-Jamais.
Mais pour quelle raison Angus Lamb s’est-il lancé dans cette aventure ? L’argent ne suffit-il pas à son bonheur ? Bella-Wendy cherche à comprendre…
On s’amuse de la façon dont les différents épisodes de la pièce sont mis en scène (avec le Capitaine Crochet, la fée Clochette, les Garçons Perdus, le crocodile…) mais la belle machine artistique s’enraye quand des huissiers débarquent à Never-Never pour interrompre ce que les actionnaires de la compagnie appellent une « mascarade dispendieuse ».
Comment Angus-Peter Pan peut-il réagir à ce coup du sort ?

Epinoche et Smadjo, sous-titré Un sacré Gepetto, nous raconte l’histoire d’un petit garçon qui habite sur le toit d’une tour de trente-deux étages. Enfant abandonné, il vit seul, va à l’école (où il est un très bon élève) et mène une existence paisible et ordonnée. Il serait presque heureux s’il n’était confronté de temps à autre à ces phrases de ses petits camarades : « ma maman ceci… mon papa cela… ». Lui n’avait ni l’une ni l’autre.
Pour ce qui est de la maman, il bénéficiait tout de même de l’affection de la vieille dame du vingt-neuvième étage mais côté papa c’était le grand vide. Jusqu’à ce matin où il trouve devant le magasin Smadjo-élégance un mannequin posé sur le trottoir et qui attend le passage de la benne à ordures. Un mannequin sans costume bien sûr mais de la vraie taille d’un homme. Il est passablement abîmé mais Epinoche l’adopte tout de même et le monte, avec beaucoup de difficultés, jusqu’à son abri sur le toit. Quelques jours plus tard, une fée qui passait par là décide d’insuffler la vie à Smadjo qui devient vivant tout en restant en carton. « Je ferai de toi un être humain à part entière quand tu te seras montré digne de ma confiance et auras apporté au fils que je t’assigne tout ce qu’un enfant est en droit d’attendre de son père. »
Voilà Smadjo ravi et l’enfant comblé. Mais comme Pinocchio au début de l’histoire de Collodi, le mannequin se laisse tenter par les mauvaises relations et consacre plus de temps à l’alcool, aux copains, au jeu et aux femmes qu’au petit Epinoche.
Un père comme celui-là est-il préférable au manque de père ? Les interventions de la fée parviendront-elles à remettre le mannequin dans le droit chemin ? Smadjo deviendra-t-il humain ? Autant de questions qu’on se pose au fil des pages et des réflexions d’Epinoche.

Trois nouvelles passionnantes, digressions autour des textes originels, pas du tout des pastiches mais plutôt des prolongements, des variations, qui enrichissent la lecture des versions originales et donnent envie de s’y replonger.
Comme il est dit dans la préface, « Carroll, Barrie, Collodi ont écrit délibérément pour les enfants. Pour autant ces trois histoires inspirées de leurs œuvres ne devraient pas être mises entre des mains trop jeunes. :»
Un livre à ne pas manquer et dont on peut aussi conseiller la lecture aux adolescents qui y trouveront un écho aux questions qu’ils se posent parfois…

Serge Cabrol 
(25/02/08)    



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Le grand miroir

144 pages - 15 €




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photo © Yung
un entretien avec
G.-O. Châteaureynaud


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