Avez-vous toujours voulu être écrivain ? Est-ce un choix ou
une nécessité ?
Depuis que je sais écrire, ma décision est prise. Je lisais comme
tous les enfants. J'allais à la bibliothèque. Mes parents étaient
affolés de nous voir lire autant. Ma mère qui était institutrice
me disait : "Tu es encore dans tes livres" comme si je perdais mon
temps. J'avais cinq frères et surs. II fallait faire les courses
chaque jour car il n'y avait pas de réfrigérateur et je lisais
en marchant. Il n'y avait pas beaucoup de voitures, heureusement.
Que lisiez-vous ? Des romans ? Des recueils de nouvelles ?
Tout ce qui me tombait sous la main. J'ai lu à l'époque tout Giraudoux.
Je n'ose pas le relire. Il m'a trop charmée, j'ai peur d'être déçue.
Quand vous avez commencé à écrire, avez-vous montré
vos textes ?
J'écrivais des histoires mais je les gardais pour moi. A l'occasion de
la Fête des mères, j'avais écrit un poème et ma sur
aussi. Je trouvais le sien meilleur et cela m'ennuyait. En classe je ne supportais
pas non plus qu'une autre élève soit meilleure que moi en français.
En rédaction, vous aviez de bonnes notes ?
En principe j'avais la première place, mais je devais faire attention.
Vous n'avez jamais été encouragée à écrire
?
Non, et je ne cherchais pas les encouragements. Je n'en parlais à personne.
Quand j'ai réalisé que je pouvais avoir un métier dans
l'écriture, je me suis préparée à être traductrice.
J'ai passé des diplômes mais les éditeurs littéraires
demandent avant tout un essai. On m'a offert, chez Albin Michel, de traduire
John Fowles.
Étiez-vous parallèlement dans une démarche d'écriture
personnelle ?
A cette époque on refusait mes nouvelles. J'avais déposé
un recueil chez plusieurs éditeurs. Les éditions de Minuit m'ont
suggéré d'écrire un roman. J'ai signé un contrat
et la parution a été repoussée de mois en mois faute d'argent.
Jérôme Lindon m'a adressée à Pierre Horay, il a publié
deux "romans" qui étaient de faux romans. J'essayais vainement
d'allonger. Je suis passée chez Calmann-Lévy. Alain Bosquet a
pris la relève. Je ne vendais rien. Alors j'ai proposé un recueil
de nouvelles que le Mercure de France a pris. Puis chez Gallimard j'ai eu trois
recueils - dont l'un vient de reparaître chez H.B. - et le Goncourt de
la Nouvelle mais on m'a demandé d'écrire un roman. Après
être passée chez Luneau-Ascot où on aimait les nouvelles
j'ai rencontré Paul Fournel qui dirigeait Ramsay. Il a publié
La terre est à nous. Maintenant on ne me demande plus d'écrire
de romans mais cela a été un dur parcours.
Vos romans ne sont plus disponibles.
Non, et je ne tiens pas du tout à ce qu'ils soient lus.
Votre plaisir d'écriture a toujours été la nouvelle,
le texte court.
J'aimerais bien écrire un roman mais je n'y arrive pas. Mon premier roman
était une suite de petits paragraphes et après cinquante pages
je n'avais plus rien à dire.
Et le "roman par nouvelles" à la façon de Jean-Noël
Blanc ne vous a jamais tentée ?
Non, mais j'aime beaucoup ce qu'écrit Jean-Noël. Moi, au bout de
dix pages mon histoire est finie. J'ai besoin de créer d'autres personnages
que je n'ai jamais l'impression de créer.
Dans certaines nouvelles il y a une double lecture, par exemple celle des
chambres d'hôtel où vous intercalez ce qui est affiché au
dos des portes des chambres et l'histoire d'un couple qui se défait,
ou dans "Oh la mer est tellement bleue" des descriptions de
photos de vacances rythmant l'histoire. Vous aimez cette double lecture ?
Oui mais il ne faut pas trop en abuser.
Vous parlez souvent de la place que vous laissez au lecteur ? Y pensez-vous
quand vous écrivez ou quand vous retravaillez vos nouvelles ?
C'est une position que je prends au départ. Il faut que le lecteur se
fasse lui-même sa nouvelle. Il y a autant de nouvelles que de lecteurs.
Je laisse volontairement une certaine ambiguïté pour que l'on puisse
conclure d'une manière ou d'une autre. Cela correspond au genre de la
nouvelle mais cela gêne parfois les élèves que je rencontre.
On revient à l'ambiguïté que vous pouvez créer
dans un équilibre entre le non-dit et la compréhension du texte.
Parfois c'est un peu limite. Je retire certaines nouvelles qui me semblent quasiment
incompréhensibles. Il y a eu une époque où j'avais tendance
à écrire compliqué mais les lecteurs sont fatigués
et n'ont pas toujours envie de faire l'effort nécessaire pour décrypter
un texte trop obscur.
Quand vous rencontrez vos lecteurs, voulez-vous savoir ce qu'ils ont compris
de vos nouvelles ?
Oui. Je suis parfois surprise. Dans "Papa perdu" des lecteurs
ont cru que le père s'était pendu alors qu'il s'agit chez l'enfant
d'un fantasme. D'abord cela m'irritait un peu et puis j'ai pensé qu'il
fallait laisser les lecteurs imaginer à leur gré.
Vous laissez des espaces pour le lecteur mais vous préférez
qu'il comprenne ce que vous avez voulu y mettre.
Maintenant ça m'est égal. C'est devenu une sorte de jeu.
Comment organisez-vous vos recueils de nouvelles ?
J'écris des nouvelles en m'efforçant de prendre des angles différents
et quand je les regroupe en recueil j'en écris parfois une supplémentaire
qui me semble nécessaire en un point précis du recueil. C'est
du bricolage. Je fonctionne au feeling.
A quel moment donnez-vous le titre du recueil, avant de l'écrire,
après l'avoir constitué ?
Mon prochain a déjà son titre mais j'en changerai peut-être.
Dans Noir, comme d'habitude, c'est le titre d'une nouvelle. Le café
du matin sera noir, comme d'habitude mais c'est aussi un rappel d'un reproche
qu'on me fait parfois.
Le rapport au temps vous passionne-t-il ? Vous pouvez raconter une vie dans
une nouvelle. Par exemple dans "La soupe" vous évoquez
la vie d'une vieille dame à travers les "soupes" qu'elle a
préparées pour ses petits-enfants.
Raconter une vie en une nouvelle (de trois pages) est un peu acrobatique. Mais
au départ rien ne me fait peur.
Pour écrire un recueil il faut beaucoup d'idées.
Lors de la rencontre avec des lecteurs on me demande souvent d'où me
viennent ces idées. Il y a quelque chose de mystérieux qui s'appelle
l'imagination. Je ne raconte pas ma vie. Une fois que j'ai le personnage il
existe vraiment. Je pique les personnages ça et là, au hasard.
C'est la magie de l'écriture. Utilisez-vous les faits divers ?
De temps à autre. J'ai écrit une nouvelle à Dinan qui s'appelle
"J'ai vu ça dans Ouest-France". Cela partait d'un fait
divers. "On" me fait des cadeaux."On" c'est qui ?
Quand vous avez une idée écrivez-vous la nouvelle rapidement
?
Quelquefois je commence et j'en reste là. J'ai un dossier énorme
de "débuts". La nouvelle "Le fauteuil en rotin"
qui est dans Noir, comme d'habitude, je l'ai commencée il y a
sept ans. J'avais le début mais je ne pouvais pas m'en sortir. Je ne
savais pas qui j'allais mettre dans le fauteuil. Il y avait aussi cette femme
qui était en cure et je ne connaissais pas son histoire. L'idée
de la nouvelle est venue d'un séjour en Suisse où j'ai rencontré
un photographe qui faisait de superbes photos d'objets. Un fauteuil en rotin
était tout seul au milieu d'une pelouse vide. On avait forcément
envie d'asseoir quelqu'un dans le fauteuil.
Dans cette nouvelle vous parlez d'une famille juive exterminée. L'écriture
doit-elle, pour vous, avoir un positionnement dans le monde contemporain et
ses problématiques ? L'écrivain doit-il s'engager, être
témoin de son époque ?
Je ne me pose pas la question. Évidemment mes sujets sont pris dans mon
époque. Je parle de choses qui ont existé, qui existent, que j'ai
connues ou non, mais dont j'ai entendu parler. Si un sujet m'obsède je
m'efforce de trouver une façon de le traiter qui ne m'est pas habituelle.
Je change d'angle mais au départ j'ai seulement envie de dire une émotion.
Vos interventions extérieures ne vous posent pas trop de problèmes
de temps pour votre écriture ?
Non, je rencontre des gens. Ce sont des contacts intéressants. Ces jours-là
je n'écris pas. Les autres jours je me mets devant la page blanche. J'essaie
de démarrer, si cela ne marche pas je reprends des projets de nouvelles
anciennes. S'il y en a une qui marche je peux rester dessus toute la journée.
En résidence à Dinan, j'ai beaucoup travaillé. J'aime écrire
"ailleurs", dans un cadre qui n'est pas mon cadre de vie quotidienne.
La solitude de l'écriture est-elle agréable ou pesante ?
J'y suis habituée mais je trouve agréable de rencontrer d'autres
personnes. On ne peut pas écrire toute la journée. Longtemps j'ai
fait des traductions. Je commençais par l'écriture personnelle
puis je traduisais, ce qui est moins difficile car on est sur des rails. Mais
on est aussi dans le doute et l'inquiétude, jamais sûr de ne pas
trahir l'écrivain dont on a accepté la charge.
La traduction était-elle bénéfique pour votre écriture
personnelle ?
Oui, même et surtout si on traduit des choses d'un style complètement
différent.
Plusieurs de vos nouvelles présentent une musicalité particulière
et certaines insèrent des chansons ou poèmes. On perçoit
bien la musicalité des mots.
Je prends garde au son des mots pour qu'ils s'accordent bien. Cela fait partie
du travail de style. Je lis mes nouvelles au magnétophone et je les retravaille
ensuite.
Vous avez inséré des paroles de Charles Trenet dans une de
vos nouvelles.
C'était une commande de la revue Europe qui avait un projet de
numéro spécial sur Charles Trenet. Je suis allée au Centre
Pompidou pour lire ses textes de chansons et choisir ce qui me convenait.
Le passage en livre de poche change-t-il le rapport au lectorat ?
Oui, cela élargit le lectorat. Cependant, dans les classes où
j'interviens il est rare que les élèves achètent le livre.
Ils le trouvent au C.D.I.
Le poche allonge aussi la durée de vie d'un livre.
Les poches ont une longue existence. Quand je suis entrée chez Julliard,
j'ai demandé à être publiée en poche.
Vos premières nouvelles étaient plus longues que celles que
vous écrivez maintenant.
Cela m'inquiète. Je me dis qu'à force de raccourcir il n'en restera
pas grand-chose.
Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients d'un texte
court ?
Quand on ne sait pas écrire un texte long, c'est un avantage évident.
Pour moi c'est aussi beaucoup de plaisir et en même temps le travail de
l'écriture est dur. Mais cela permet de prendre le monde par tous les
bouts, de s'intéresser à des sujets divers. Je ne me vois pas
écrire pendant deux ans une seule histoire en deux ou trois cents pages
avec les mêmes personnages. Dans les nouvelles mes personnages sont avec
moi puis s'en vont et je recommence avec d'autres. C'est très jubilatoire.
Quelle est pour vous l'importance de la chute dans une nouvelle. Est-elle
nécessaire ?
Je ne crois pas qu'elle soit indispensable. Il n'y a pas de règles. Nous
nous sommes si souvent réunis autour d'une table avec des avis différents
qu'on se dit que la nouvelle est ce que le nouvelliste en fait.
Vous avez écrit que le travail du nouvelliste est d'effacer toute
trace de son travail.
Je suis contente lorsqu'on me dit "ça a l'air d'être écrit
facilement" alors que j'y passe des heures et des heures. Je reprends beaucoup
mes textes mais l'idéal est que ça semble spontané. Je
donne mes nouvelles à lire à Jean-Noël Blanc qui me dit parfois
: "Là, tu n'as pas écrit du Saumont." Mes premiers jets
sont plus sophistiqués. Il faut toujours retirer. Ce qui reste est très
simple. Le sens est sous des mots simples.
Vous disiez aussi que la tâche du nouvelliste est d'écrire
une nouvelle "nouvelle", de réinventer chaque fois un genre
littéraire.
Contrairement aux éditeurs qui me demandaient d'écrire des recueils
"à thèmes", je veux pouvoir changer d'une nouvelle à
l'autre. Maintenant j'entends plutôt "c'est varié" comme
un compliment.
Vous avez une utilisation particulière de la ponctuation.
Je n'ai jamais pu supporter les deux points ouvrez les guillemets. J'ai donc
mis des virgules et pas de majuscules et introduit directement le dialogue.
Je voulais qu'on glisse presque insensiblement de la pensée des gens
à leur parole. Ensuite, j'ai trouvé que virgule sans majuscule
pour commencer le dialogue c'était un peu difficile pour le lecteur.
Maintenant je mets une virgule suivie d'une majuscule quand les personnages
commencent à parler et une virgule quand ils ont fini.
Vous avez épuré la ponctuation de vos textes.
J'ai supprimé les points virgules parce que je n'en ai plus besoin. Cela
fait très longtemps que je n'ai plus de points de suspension. Ils sont
remplacés par un trait.
Quels conseils donneriez-vous à des nouvellistes qui débutent
?
Beaucoup d'écrivains sont capables d'écrire roman ou nouvelles.
Du point de vue de la vente il est préférable d'écrire
un roman. Mais s'ils sont portés naturellement vers la nouvelle qu'ils
s'obstinent.
En ce moment quelques éditeurs lancent des collections de nouvelles.
Oui, la situation s'améliore aussi grâce aux revues. Quand j'ai
commencé il n'y avait pas les revues ni tout le travail que fait le Festival
de la Nouvelle à Saint-Quentin.
Les interventions dans les classes jouent un rôle important pour former
un lectorat.
Les professeurs sont intéressés car la nouvelle est une unité.
C'est pratique et pas trop lourd pour un travail d'analyse.
Lire un recueil de nouvelles est particulier. Comme le dit Christiane Baroche
il ne faut pas forcément le lire comme un roman mais nouvelle après
nouvelle en acceptant les pauses entre les textes.
Oui, je pense que la lecture en est moins confortable que celle d'un roman dans
lequel on s'installe et où l'on retrouve les personnages à chaque
étape de la lecture. Dans le cas du recueil de nouvelles on doit chaque
fois se replonger dans un univers différent. Mais je crois qu'il faut
se limiter à ce qu'on peut faire. La poésie ne se vend pas très
bien, cela n'empêche pas les poètes d'écrire.
Avez-vous écrit de la poésie ?
Très peu. J'ai écrit une chanson, "Vent de revers" pour
Mathilde Mauguière qui a fait un disque avec des chansons d'écrivains.
C'est autre chose qu'un poème. La chanson demande une histoire simple,
directe, un peu comme une nouvelle.
(Propos recueillis par Brigitte Aubonnet, Janvier 2000)