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Georges-Olivier CHÂTEAUREYNAUD
Jeune vieillard assis sur une pierre en bois
Enfin de bonnes nouvelles !, proclame le bandeau rouge sur la couverture du recueil
Jeune vieillard assis sur une pierre en bois de Georges-Olivier Châteaureynaud
que Grasset publie en cette fin octobre. Huit merveilleuses nouvelles, aux titres
mystérieux, qui suggèrent la lévitation et la brocante, la
nostalgie et la mythologie, l'impossible et la surprise. Dans tous les cas, se
fait jour un jeu sur la langue française, entre allusion littéraire
détournée et expression toute faite prise au pied de la lettre.
Les nouvelles de Châteaureynaud sont toujours publiées, et présentées,
par ordre chronologique de rédaction. Il n'existe qu'une seule entorse
à cela, depuis 1973, due à des problèmes de droits d'édition.
Les recueils ne sont donc pas thématiques. Et pourtant
Il semble
bien que dans ce déroulé temporel que le lecteur explore au fil
des recueils, les thèmes soient également apparents, et induisent
une évolution. Penchons-nous sur les dernières nouvelles en date.
L'homme est seul. Il a beau avoir on n'ose écrire « posséder
» une mère, une épouse, une fiancée, des enfants
il est seul. Dans Les Intermittences d'Icare, par trois fois, il est donné
au narrateur le pouvoir de voler. De décoller du sol : « une seconde
mes pieds nus s'enfonçaient dans le sable grossier, et la suivante ils
en étaient dégagés et flottaient une dizaine de centimètres
au-dessus de leurs empreintes ». Le narrateur a neuf ans lors de son premier
envol, qui se produira encore deux fois dans sa longue vie : au-dessus du corps
de la jeune fille aimée à vingt ans ; sur la dune du Pyla lorsque,
homme fait, il peine à grimper sur le sable. Le sable
qui ramène
la nouvelle au temps du sablier. Chez Châteaureynaud, ce foutu temps qui
passe est à maudire et à célébrer. Et personne, dans
la nouvelle, pour assister au prodige. Car enfin, voler, ce n'est pas donné
à tout le monde, hein ? Eh bien
ni la mère, ni la fiancée,
pour regarder l'enfant, le jeune homme, décoller. Et puis si, enfin, la
mère et l'épouse pas la fiancée, mais une autre épousée
regardent l'homme s'élever, et
s'en désintéressent.
L'homme est seul, rien à faire. Comme il l'est dans Face perdue
aux temps des Burschenschaften et des duels au sabre. Pour l'amour de Rosetta,
le personnage d'Aloïs renonce à la défiguration et perd, littéralement,
la face. Mais les jeunes filles du temps aiment les balafrés
L'homme
se retrouve seul lorsqu'il décide de refaire sa vie avec une plus jeune
que lui et que les objets de son passé le rattrapent : il ne peut renoncer
à les retenir. Dans La Foire à tout rue du Merlan, on retrouve
le penchant fort penchant de Châteaureynaud pour la brocante
et sa magie immédiate, porteuse d'un terrible espoir de retour sur ce qui
n'est plus. L'homme est seul quand son meilleur ami est « parti »
: la mort est irrémédiable, et la nouvelle Diorama est un
des plus beaux textes qui soient sur la célébration du deuil. Sur
sa célébration, pas son acceptation.
L'homme est seul, et il est spectateur. Dans la saisissante nouvelle Jeune
vieillard assis sur une pierre en bois, qui donne son titre au recueil, le
narrateur se réveille d'une anesthésie en trouvant que le monde
n'est « pas conforme ». « Je m'éveillai guéri,
mais plus faible qu'un nouveau né » nous dit-il au tout début
de la nouvelle. Un nouveau-né ? Et pourquoi pas ? Pourquoi pas une nouvelle
vie ? Et puis, au fond, pourquoi ? Parce que, sans doute, il reste toujours l'once
d'espoir de « refaire sa vie », même si on n'a pas raté
la première. Il reste toujours cette interrogation sans réponse
: pourquoi suis-je là ? qu'ai-je fait ? (pour mériter ça
ou
pour avoir le droit de vivre encore
) L'homme est à ce point
spectateur qu'il entre dans le tableau, sujet dérisoire dans le quotidien,
transformé – vampirisé – par de plus vieux que lui qui lui volent
une vie qu'il n'a pas su vraiment apprécier. La nouvelle Les Amants
sous verre, sous ses allures gothiques, place le personnage de Golo au cur
d'un piège où la sensualité, la déveine et l'illumination
se combinent.
Georges-Olivier Châteaureynaud ne se cache pas vraiment derrière
ses textes. Il y a quelque chose du sourire farceur, complice, à nommer
les personnages Gerö ou Golo (ce G et cet O, qui sont l'abréviation
de son prénom G.-O.). Et une véritable jubilation, farceuse là
encore, à jouer avec les titres, Les Intermittences d'Icare renvoyant,
de plein fouet, aux « Intermittences du cur », le Jeune vieillard
à une comptine qui soudain prend sens, Une route poudreuse
à la Porte des Lionnes, Face perdue à l'expression «
perdre la face ». Le tout élaboré à partir d'une documentation
des plus consciencieuses : la technique des pressés sous verre, les confréries
étudiantes allemandes
Il y a quelque chose de la nostalgie poignante
à invoquer la Bretagne de la fin des années 50 et le père
qui a abandonné le fils et la mère « sur le bord de la route
» (Les Intermittences d'Icare) ou les guitares partagées avec
l'ami de toujours rebaptisé Cassagne et l'évocation du Paris de
la jeunesse (Diorama). Il y a, dans Pie, escargot, furet, ce rescapé
des camps qui rappelle la figure paternelle revenue de Dachau. Et dans la même
nouvelle, le personnage de Gorbius, si présent dans l'uvre complète,
père ici d'une mongolienne sensuelle et déroutante.
Oui, le déroulé strictement temporel de la présentation chronologique
des nouvelles place le lecteur, de façon frappante, devant l'évolution
de thèmes brodés à petits points. Mis à part les personnages
de Gorbius et de sa fille évolutifs les nouvelles de Jeune
vieillard assis sur une pierre en bois marquent un tournant dans l'uvre
de Châteaureynaud. L'âge y prend une place prépondérante,
et la perception de l'âge une force terriblement duelle : désespérante
et décapante. Que l'on se reporte à la dernière nouvelle
du recueil, Une route poudreuse mène d'Argos à Mycènes,
dans laquelle, sur un fond culturel mythologique, l'auteur parvient à réunir
le renoncement et l'allant, l'échec et la réussite, la banalité
et la surprise. Du grand art.
Christine Bini
(25/10/13)
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/
Compléments :
Châteaureynaud sur le blog de Christine Bini "La Lectrice à
l'uvre" :
http://christinebini.blogspot.fr/search/label/Ch%C3%A2teaureynaud%20Georges-Olivier
Le site de Georges-Olivier Châteaureynaud (sur lequel on trouvera, entre
autres, la bibliographie complète) "Eparvay" :
https://sites.google.com/site/eparvay/
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Sommaire
Lectures
Editions Grasset
(Octobre 2013)
240 pages - 17 €
G.-O. Châteaureynaud,
né en 1947, nouvelliste et romancier, prix Renaudot 1982 et Goncourt
de la Nouvelle 2005, est l'auteur d'une trentaine de livres.
Visiter le site de
G.-O. Châteaureynaud
Lire sur notre site
un entretien avec
G.-O. Chàteaureynaud
et des articles
concernant
d'autres livres
du même auteur :
Au fond du paradis
Mécomptes cruels
Les intermittences
d'Icare
Singe savant tabassé
par deux clowns
L'autre rive
De l'autre côté d'Alice
Le corps de l'autre
La vie nous regarde passer
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