Retour à l'accueil du site
Liste des interviews






Régine Detambel

Les livres
prennent soin de nous
Pour une bibliothérapie créative



À l'occasion de la parution de ce livre dans la collection Babel, chez Actes Sud, nous avons posé quelques questions à Régine Detambel.



Comment est née pour vous l’idée de la bibliothérapie ?
Cela s'est passé très naturellement. Il y a plus de vingt-cinq ans, j'ai ouvert mon cabinet de kinésithérapie en même temps que je publiais mon premier roman. Pour moi le corps, la littérature et le soin ont toujours évolué ensemble. Mais j'ai donné beaucoup plus tard le nom de bibliothérapie créative, ou bibliocréativité, à mon désir de soin par les textes, par leur mise en bouche, par l'énergie qu'ils contiennent.

Vous écrivez depuis longtemps, quel rôle les livres ont-ils joué pour vous ? 
Je crois que les livres ont été pour moi un univers multimédia et polyvalent ! Ils m'ont nourrie à tous les sens du terme, ils m'ont donné ma force et ma structure. Mais attention, tous les livres ne sont pas bons à lire ! Ma vision de la bibliothérapie est subversive ! je trouve que nombre d’auteurs classiques véhiculent des stéréotypes inadmissibles sur les femmes, les sujets âgés, les étrangers, les enfants, etc. Pour moi, un bon livre de bibliothérapie doit être riche, profond, neuf, avec des métaphores vives. Il doit me permettre de me réinterpréter en tant qu’individu.

Ont-ils joué un rôle de thérapie ?
Oui, bien sûr, et les gens qui ont l’habitude de bouquiner le savent bien : lire peut être puissamment thérapeutique ! Mais comment lire quand on est déprimé, ou épuisé ? Quand j'étais enfant, je faisais la lecture à ma mère quand elle rentrait du travail. J'ai compris alors que le sens du texte n'était pas la seule chose importante, mais que la voix du lecteur était tout aussi contenante, réparatrice.
Il faut dire qu'alors le numérique ne menaçait pas mes facultés d'ennui ! Les années de pensionnat ont puissamment contribué à me forger une vie intérieure, un for intérieur, qui ne s'est constitué que par l'aide des personnages, des scénarios… 

En quoi la littérature peut-elle nous sauver ?
Le mot sauver n'est pas trop fort. Beaucoup de mes stagiaires ou de mes patients-lecteurs ont adopté ce terme, qui sonne à la fois médicalement et spirituellement ! Mais si les livres nous sauvent, c'est d'abord parce que quelque chose ou quelqu'un nous a conduits vers eux. À mon sens, il ne s'agit pas, pour le bibliothérapeute, de prescrire le titre ad hoc, mais plutôt d'accompagner une personne dans sa découverte émotionnelle et physique d'un texte, dans toutes ses dimensions, et pas seulement intellectuelles ou artistiques.

Le choix des livres est essentiel, comment les choisissez-vous car vous précisez qu’il faut choisir des textes parfois éloignés de ce que l’on pourrait vouloir y trouver pour y découvrir en fait ce qui pourrait nous aider ?
Pour ma part, je privilégie les métaphores et les symboles. Par exemple, je trouve que Robinson Crusoé, notamment la scène où il fait de grands signes désespérés à un navire qui ne le voit pas, décrit bien la détresse et le sentiment de solitude extrême qu’éprouve par exemple celui qui vient d’apprendre qu’il a un cancer. Je pense qu'un ouvrage traitant frontalement de ce sujet ne serait pas la meilleure approche. Voilà où se situent aussi les compétences et la sensibilité du bibliothérapeute.

Quel public visez-vous pour vos ateliers de bibliothérapie ?
Les séances de bibliothérapie créative s'adressent à tous les publics, en individuel ou en groupe. Par un retour au récit, à la voix haute, au bercement de la langue, l'atelier individuel que je propose permettra aux enfants, aux adolescents, comme aux adultes et aux sujets âgés, de nourrir, réparer, recoudre leur "moi-peau" tellement égratigné par la vie… Pour s'enrichir, face à l'appauvrissement des sentiments et des perceptions, et (re)devenir résolument créatif ! 
Pour les formations, il s'agit d'un public de professionnels, soignants ou littéraires, désireux d'ajouter cette discipline nouvelle à ses outils de prise en charge habituels.

Faut-il aimer lire pour être réceptif à la bibliothérapie ?
Certainement pas. J'ai reçu déjà beaucoup d’orthophonistes dans mes formations. Et justement, un de leurs problèmes majeurs semble être le casse-tête que représente la rééducation d'un enfant qui a des déficits d'attention, ou d'appropriation de la lecture. Je crois personnellement qu'on lit, qu'on écrit ou comprend de tout son corps. Et qu'une prise en charge des difficultés de lecture suppose une prise en charge des difficultés de tout l'être dans sa manière de se présenter au monde.

Quelles sont les différentes approches possibles ?
Pour les patients-lecteurs, j'utilise aussi bien la lecture à voix haute que les gestes, les déplacements, le mime, les carnets créatifs, la photo, l'écriture... L'expression de soi, le récit de soi est forcément multidisciplinaire. Il existe de nombreuses théories sur la bibliothérapie. Je travaille avec des romans, des fictions ou des poèmes. Et ne me limite pas à la simple prescription littéraire ! Donner un livre à quelqu’un, puis le lâcher dans la nature pour qu’il le lise seul, en silence, avec les yeux, dans son coin ? Non. D’abord, il est essentiel d’accompagner le patient-lecteur, de l’appréhender dans sa globalité, de l'appréhender en face à face, de parler et d’échanger avec lui afin de déterminer les textes, les sons, les formes, les rythmes qui pourront l’aider au mieux. Le patient et le bibliothérapeute (qu’il soit psy, orthophoniste, éducateur, etc.) sont tous les deux actifs, créatifs et partie prenante du processus. Ensuite, dans la « bibliocréativité » telle que je la conçois, le texte n'est pas forcément lu par le patient, au sens mental du terme : il peut être dit, chanté, scandé, enluminé avec des dessins, des collages, etc. Il peut s’accompagner d’exercices de respiration ou de méditation, de danse, de musique, etc.

Quelles sont les aptitudes nécessaires pour devenir bibliothérapeute ?
Il s'agit d'avoir expérimenté la lecture dans son être, d'avoir été "sauvé" soi-même par les livres, à un moment où à un autre de sa vie. Les diplômes littéraires ne sont pas utiles. La présence à l'autre, la créativité, l'attention et la bienveillance sont, comme toujours, les fondements d'un lien vraiment thérapeutique. 

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet









Bio-bibliographie
sur le site de
Régine Detambel :
www.detambel.com







Actes Sud

(Mars 2015)
176 pages - 16 €

Babel
(Février 2017)
160 pages - 6,80 €










Découvrir sur notre site
quelques livres de
Régine Detambel :

Les livres prennent
soin de nous


Le chaste monde

Son corps extrême

Le syndrome de Diogène

Noces de chêne

Pandémonium

Les enfants se défont
par l'oreille


Bernard Noël
Poète épithélial


Petit éloge de la peau

Notre-Dame
des Sept Douleurs


La couleur venue
de la terre






Actes Sud

(Janvier 2017)
144 pages - 15,80 €