Régine DETAMBEL

Les enfants se défont par l'oreille



En marge de son nouveau roman chez Gallimard, Pandémonium, déjà chroniqué sur ce site, Régine Detambel publie un texte court, poétique, qui en est la genèse : Les enfants se défont par l’oreille. Un régal.

L’objet, chose assez rare pour que cela soit mentionné, est comme toujours chez Fata Morgana élégant et discret. Cette édition est illustrée par Colette Deblé qui en écho au récit de Régine Detambel nous livre des fragments de corps, par des dessins parfois naïfs ou inquiétants, en résonance singulière avec ce texte court (45 pages) mais d’une richesse foisonnante. Un objet donc, tout d’abord, plaisant à tenir entre ses mains et qui invite à une première promenade des yeux avant de se livrer vraiment à la lecture.

Prêt alors pour un petit moment de pur plaisir, le lecteur, déguste lentement cette langue belle, précise, que ceux qui accompagnent par une lecture fidèle les voyages en édition de Régine connaissent bien et apprécient tant.

Le prétexte nous met l’eau à la bouche : « Un proverbe dit à peu près que tout ce qui est bon vient de moi, ce qui est mauvais me vient de mes ancêtres. J’estime qu’on peut le prendre au pied de la lettre. Beaucoup tâchent d’aimer leur famille, s’efforcent de la vénérer, avec opiniâtreté et parfois de remarquables percées vers l’abnégation. Je prétends que c’est impossible et même aussi mauvais que du vieux pain avec de la graisse rance. Ces gens-là, les amoureux de leur arbre généalogique, les chasseurs de stèles, les collectionneurs d’ancêtres, n’ont jamais eu la malchance, comme le jeune garçon que j’étais, de posséder encore, de connaître et de garder longtemps leurs huit arrières grands-parents, tous les huit capables de parler, bien qu’affligés, à des degrés divers, des maux qui viennent de l’épaisseur de la sagesse dans le sang, de la friabilité des os, de la fragilité des tripes et qui donnaient à tous les hommes l’air d’infirmes qui se sont habillés tout seuls, à toutes les femmes, ou presque, un œil bleu braqué et le goût des piqûres stimulantes ».

Nous ne serons pas déçus, tout sera de cette veine énergique, émouvante ou humoristique tour à tour. Féroce quand elle dépeint la vieillesse, « Avec le temps les vieillards ont tant maigri qu’on leur voit les os, la tête des os. Aux femmes, les côtes à travers les seins. Et ils dorment alors dans des lits jumeaux, chacun leur chevet, chacun leur lampe, parce qu’ils ne veulent pas ne coucher qu’avec rien » elle se fait tendre quand elle nous plonge au cœur de l'enfance, des troubles de l'adolescence. Car aux huit tableaux des ancêtres se superpose la découverte, par le jeune narrateur, de la jouissance physique et de la sexualité. Eva, la cousine, n’a pas froid aux yeux et l’initiation sera réussie et aurait été complète si les ancêtres chacun à sa façon n’y avaient veillé. Cette confrontation entre la déchéance physique de ceux que la vie abandonne lentement, les momies, et ceux que l’appel du sang et des sens amène à cueillir à pleines brassées les plaisirs qui se présentent, les émois et leurs promesses, les chrysalides, est étrange, troublante, détonante. La mort et la vie réunies, dos à dos dans le fouillis des jardins bruissants de lézards, sous le soleil qui exhale les odeurs des plantes et les insectes qui agacent les épidermes. Se dégage, portée par ces mots quotidiens ou rares conjugués, une sensualité tenace, entêtante, qui fascine.

Une parfaite réussite donc que ce livre paradoxal. Une rareté à ne manquer sous aucun prétexte. Une superbe illustration du pouvoir des mots qui, au final, donnent la victoire à la jouissance et à la vie sur l’angoisse de la fin.

A déguster de préférence, sur un transat, offert au soleil du printemps, pour mieux en savourer le mélange subtil de parfums frais et fruités et de flagrances rances évaporées.

Dominique Baillon-Lalande 
(18/05/06)   



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Editions Fata Morgana
45 pages, 9 €







Photo©J.-C. Martinez

Pour visiter le site de Régine Detambel :
www.detambel.com




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