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Caroline SERS


Les belles espérances



Un roman familial sur cinquante ans à Paris. Au centre du roman Pierre et Fabrice, deux frères jumeaux, le premier sérieux, rigide et fermé, le deuxième fantaisiste, aimant la vie et la fête, ayant à peine plus de vingt ans en Mai 1968. Leur père, à la tête d’une entreprise familiale de fabrication de boutons qui vivote, est décédé quelques mois auparavant. Leur mère, Charlotte dite « le Dragon », qui incarne le monde d’hier avec ses valeurs bourgeoises et ses jugements sans appel, tient depuis comme elle l’a fait  toujours sa maisonnée d’une main de fer. Les difficultés financières à « tenir son rang » et à  assurer un train de vie inchangé dans son grand appartement du boulevard Saint-Germain depuis son veuvage et la « chienlit » de la remise en cause de l’ordre établi dans les rues la rendent encore plus dure, autoritaire et acrimonieuse qu’auparavant. Nicole, la grande sœur apathique et souriante, absente à elle-même et aux autres depuis « sa maladie », prisonnière de l’appartement familial depuis plus de dix ans, passe ses jours  à dessiner. Seuls la tante Geneviève et son mari Serge, communistes et artistes résolument ouverts au monde privilégiant envers tous la bienveillance au jugement, viennent alléger parfois l’ambiance des repas dominicaux imposés. La France et les mentalités bougent. Si Pierre fait des études de droit alors que Fabrice a été choisi pour seconder puis remplacer le père dans l’entreprise en déclin, que 1968 est aussi l’année du mariage de Pierre avec Isabelle et de la naissance de leur fils Mathieu, Fabrice lui saisit les changements de l’époque à pleine brassée. Il profite des grèves pour assister aux débats à la Sorbonne, s’y ouvrir l’esprit et y faire des rencontres, y tombe enfin sous le charme de Valérie. Après une dispute plus hystérique encore que d’habitude avec le Dragon, il plaque tout pour vivre avec  l’élue de son cœur dans une communauté en Corrèze.
Quand les jumeaux se retrouvent cinq ans plus tard, Fabrice est accompagné de Marianne et de la petite Marie qu’ils ont eue ensemble.  Pierre, clerc de notaire, vit  à l’étroit dans un appartement des beaux quartiers avec Isabelle, Mathieu et sa petite sœur  Cécile. Charlotte est toujours aussi tyrannique. Marie sera suivie de Pierrot et Corinne et celui qui est devenu éducateur décidera, avec Marianne ravie de pouvoir installer là ses bureaux d’édition, d’emménager avec sa petite famille dans un pavillon à Montreuil en 1978.
Le roman avance ainsi dans le temps jusqu’en 2018, avec son lot de secrets, de disparitions et de naissances, de joies et de chagrins, d’abandons et de rencontres, et de transformations sociales…

                      
                     La construction est chronologique (un chapitre pour cinq ans de 1968 à 2018 avec quelques incursions dans le passé familial antérieur à travers la mère de Charlotte et Geneviève ou l’enfance de Nicole, la sœur aînée) balayant cinquante ans de l’histoire politique et culturelle de la France restituée par les membres sur trois générations d’une dynastie de la bourgeoisie parisienne. La critique sociale d’un milieu totalement soumis à la dictature des apparences et fossilisé dans une vision immuable et rigide des convenances et le respect des règles et traditions ancestrales est acide et aussi violente qu’ils le sont eux-mêmes avec la classe populaire ou ceux d’entre eux qui sortent du rang. Mais face à Charlotte et Pierre sourds aux événements de 1968 qui vont modifier durablement les mentalités et mettre à mal certaines de leurs valeurs, qui se raidissent pour sauvegarder leurs privilèges et, ne comprenant rien de ce qui se déroule sous leurs yeux, s’accrocher à leur mission de pérennisation de l’ordre établi, Geneviève et Serge, Fabrice, et les enfants des jumeaux ouvrent naturellement mais non sans douleurs et cris la porte aux changements.
C’est toute une page d’histoire qui se déroule sous nos yeux. Le lecteur se retrouve ainsi face à un tableau plus vrai que nature de la bourgeoisie gaulliste confrontée aux inéluctables évolutions morales d’une société qu’un air de liberté et de révolution a chamboulée, substituant à la notion de devoir celle du bonheur, esquissant des lendemains qui chantent. Et si depuis 2000 l’élan semble être retombé avec la crise économique, le chômage et la pauvreté ou les dommages  environnementaux, c’est sans compter la combativité d’une jeune génération dont une part semblerait prête à sa façon à prendre la relève côté refus et volonté de changement. 

 

Les chapitres sont habités par de belles figures de femmes et d’hommes de bonne volonté (j’ai pour ma part ressenti un véritable attachement à Geneviève la lumineuse, Fabrice le sensible et Solal le lunaire) et les personnages y ont tous une vraie présence. Côté tragique, Charlotte la despote n’est pas sans nous rappeler la terrible Folcoche d’Hervé Bazin. Quant à la pauvre Nicole, si elle n’était sauvée par l’acuité de son regard sur ceux et ce qu’elle dessine sans cesse avec talent, elle nous renverrait douloureusement à certaines images du célèbre Vol au-dessus d’un  nid de coucous.
Ce récit polyphonique à la tension savamment entretenue autour d’un secret de famille, fait aussi la part belle à la filiation, le couple, la complicité unissant les uns aux autres, les petits arrangements, la jalousie, la maladie ou la vieillesse mais aussi le credo à chaque nouvelle naissance d’un espoir jamais éteint en la vie et le bonheur.
Le temps passe et  la roue tourne réservant son lot de bonnes ou mauvaises surprises mais la morosité ici ne trouve jamais place. C’est élégamment et positivement en donnant la parole au plus jeune des petits enfants du Dragon, pour un discours de foi dans l’avenir et l’espérance d’une « société vraiment nouvelle » alors que sa cousine s’apprête à donner la vie, que Caroline Sers termine son histoire éclatée entre ombre et lumière. 

 Un roman classique et sobre au rythme soutenu qui se dévore sans faiblir avec émotion, révolte ou sourire d’un épisode à l’autre.

Dominique Baillon-Lalande 
(06/05/19)    



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Buchet-Chastel
(Mars 2019)
352 pages - 18 €















Bio-bibliographie
sur le site de
Caroline Sers :
www.carolinesers.fr





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