Caroline SERS, Tombent les avions


Il y a des rituels auxquels on ne peut déroger. C'est l'aïeule, Monette, bon pied, bon oeil et autorité en bandoulière qui en a dicté les règles. Les vacances d'été, chaque année, c'est tous ensemble dans la vaste maison familiale.

Gérard, Geneviève et Gaston, qui n'oseraient jamais contrarier leur mère, s'y soumettent de bonne grâce. Après tout la nature est belle, et la demeure reste toujours d'une fraîcheur agréable même par grandes chaleurs. Les conjoints qui ont parfois envisagé d'autres perspectives estivales ont fini par baisser les bras, Il y a des bagarres perdues d'avance. Et puis, le grand air est salutaire aux enfants qui semblent se plier au rite annuel sans déplaisir. Effectivement, Isabelle et Richard sont heureux de retrouver chaque année leurs copains du camping d'à coté, Blaise, timide et docile, aime les promenades solitaires et Claude, petit dernier de la tribu, semble apprécier la compagnie de ses cousins.

Parfois, Monette s'inquiète. «  Avec l'âge elle a peur de lâcher prise. De les laisser prendre le large. Qui d'autre qu'elle pour maintenir l'équilibre ? Elle les sent qui l'observent, qui la guettent et profiteront de sa première défaillance. Elle le sait. Toute sa vie, elle leur a imposé sa volonté. D'ailleurs ils n'ont pas fait un geste pour se dégager. C'est peut-être ça le plus inquiétant ».

Dans la journée, chacun se livre à ses occupations, c'est pour les repas, autour de la grande table familiale, qu'ils se retrouvent. Cette cérémonie orchestrée avec soin par la reine mère est au cœur de son triomphe et assoie la solidité de son règne.

Mais de ce huis clos bien rodé, de cette communauté de personnes si dissemblables et pourtant si inextricablement liées, le lecteur devine vite la fragilité et pressent le dérapage.

L'ombre de Corinne, que personne n'ose évoquer depuis sa disparition, rôde. L'air est chargé de particules inflammables et les rancœurs, les frustrations, les non-dits ne demandent qu'à exploser. Les mots, lors de ces séances interminables qui se voudraient tant conviviales, finissent par se transformer en obus, semblables aux avions que petit Claude voit tomber dans ses rêves.

Une galerie de portraits réalistes et des personnages attachants servis par une écriture simple mais percutante, un jeu de tensions et d'émotions parfaitement maîtrisé, la surprise d'un final que l'on n'attendait pas, font de ce premier roman une découverte prometteuse.

Dominique Baillon-Lalande 



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Editions Buchet-Chastel
156 pages
12 €