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Caroline SERS


Le regard de crocodile



Les parents apprennent au troisième mois de grossesse que leur enfant est atteint d'une hernie nommée omphalocèle. En découlent des risques de fausse couche, d'éventuelles difficultés vitales à la naissance et un risque de trisomie écarté peu après, théoriquement. Mais "Vous n'êtes pas une statistique. Pour vous, c'est oui ou non, tout simplement" a conclu le spécialiste. Après réflexion, ils décident d'un commun accord de lui donner sa chance. Ils se connaissent pourtant depuis peu et lui a déjà quatre enfants, mais leur choix est fait. Il se prépare à l'idée de l'opération de l'enfant à la naissance, procédure aujourd'hui bien maîtrisée, assurent les médecins, à la nécessité de l'hospitalisation des premières semaines. Si tout se passe bien, l'enfant pourra ensuite mener une vie normale et cela seul importe. "Nous désirions cette naissance et nous voulions les croire."
"C'est ainsi que Thomas est arrivé dans notre vie - dans nos vies, devrais-je dire, car il a des frères et sœurs, des grands-parents, des oncles, des tantes, des amis."

Les cent cinquante pages du livre évoquent ces huit mois passés à l'hôpital avec Thomas, ses progrès, ses rechutes, les espoirs et les signes de départ qui affolent machines et personnel. Eux, les parents, vivent en suspens, entre parenthèses. "Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour entourer notre enfant, l'accompagner, préparer cette vie que nous avions imaginée pour lui et que nous voyions s'éloigner. Le regard de crocodile, c'est ainsi que nous décrivions la façon qu'avait Thomas, dès son premier mois, de jeter des coups d'œil autour de lui, les paupières mi-closes, afin de déterminer qui était dans sa chambre : une blouse blanche, il refermait les yeux ; notre blouse bleue, il les ouvrait. Ce regard, c'était la manifestation de sa liberté, une des expressions de son caractère bien trempé."
Un jour de juillet, le cœur de Thomas "dont nous refusons de parler comme une somme de pathologies", s'est arrêté de battre.
"Notre petit Thomas n'est plus avec nous. Ou plutôt, il l'est différemment, toujours dans nos pensées, mais figé à jamais. (…) Une photo est toujours là pour que son petit frère apprenne à le connaître, pour qu'il soit associé à notre vie."

Avec pudeur et tendresse, Caroline Sers raconte les quelques mois qui ont bouleversé sa vie, s'attachant davantage à dire la courte vie de l'enfant qu'à s'appesantir sur l'angoisse et la douleur de son cœur de mère.
Elle y décrit avec justesse le milieu médical, la vie à l'hôpital, les relations humaines qui se créent entre parents condamnés à passer leurs journées à l'unité de réanimation ou de soins intensifs, à trembler ou espérer, "pendue aux résultats d'analyse, à ses réactions, aux traitements".

Évitant le mode tragique, le récit balance entre chant d'amour pour le petit être qui peine à survivre et froid regard sociologique sur l'environnement auquel les parents sont confrontés. L'auteur parvient à instaurer une juste distance avec la réalité qu'elle décrit de façon simple et ancre profondément dans l'humain. De l'humour et de la colère aussi, parfois, et un concentré d'énergie et de vitalité tenant lieu d'antidote au désespoir.

Un drame vécu, et restitué, de façon sobre, émouvante et superbe.

Dominique Baillon-Lalande 
(28/03/12)    



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Buchet-Chastel
176 pages - 14 €







Pour visiter le blog
de Caroline Sers :
www.carolinesers.fr





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