Caroline SERS

La maison Tudaure


L'action se déroule dans un village à l’atmosphère opaque et impénétrable qui, depuis plusieurs décennies, vit replié sur lui-même. Il est vrai que la route pour y accéder est mauvaise et qu’il n’a rien de particulièrement attirant. Depuis la fermeture de l’usine de produits chimiques, la vie y périclite et tous les habitants vivent en vase clos. Seul le bar de Jean reste un lieu vivant où toutes les générations se retrouvent pour commenter le quotidien.

Quand Claude, adolescent sauvage en rupture scolaire qui passe ses journées à traîner dans les bois, découvre, enfouis sous les feuilles mortes, trois sacs poubelle fermés avec des liens en plastique bleu, suspects, il s’enfuit et choisit le silence.

Peu après, l’adjudant Marty, récemment muté sur place et Maillet son insaisissable adjoint, auteur clandestin à ses heures, convoquent les villageois pour des interrogatoires. Les esprits s'échauffent mais les villageois font front, « Car chez ces gens là, monsieur, on n’cause pas » comme le chantait l’ami Brel.

Il faut dire que par le passé, lors de l’obscure histoire de mort de nouveaux-nés à la maison Tudaure, ils ont été montrés du doigt et jetés à la vindicte populaire, sans possibilité de se défendre.
« A mort ! De leur coté, pas un souffle ne s’élevait. (…) Ils restaient là, sans même oser se regarder et la vindicte ne tarissait pas. Ce qui l’avait le plus marqué c’est que tous ces gens ne les connaissaient pas et n’étaient vraisemblablement jamais venus au village. Pourtant ils criaient, les insultaient, les menaçaient… c’était incompréhensible. Comme s’ils leur en voulaient à chacun d’entre eux personnellement. Comme s’ils avaient été lésés, blessés ou impliqués de quelque manière que ce soit dans le drame. »
De quoi apprendre à se méfier de tous et plus particulièrement de la police et de ces journalistes qui aussitôt arrivent, tels des charognards, flairer les lieux du drame.

Trois petits corps de nourrissons enfouis dans les sacs poubelle qui replongent les vieux "sauvages" au cœur du cauchemar et excitent les jeunes, tenus à l’écart du secret depuis trop longtemps, qui se rêveraient bien justicier ou enquêteur selon leur fougue naturelle.

A l'époque, le village avait fait bloc et l’affaire n’avait pu être élucidée mais cette fois, l'adjudant Marty, déterminé à en découdre à tout prix, n’est pas homme à se laisser intimider par ce mur du silence. « Une telle affaire au village. C’était trop beau pour être vrai semblait dire le visage tendu du gendarme. Il allait enfin se passer quelque chose ! »

L’ombre de la maison Tudaure, construite ici par hasard par un soldat à son retour du champ de bataille, et de ses tours fortifiées à la Viollet-le-Duc s’étend sur le village le soir et cette vieille bâtisse abandonnée à la nature paraît maudite, à l'image du village même…

Un roman noir qui joue au polar avec des morts, une enquête, du suspens et un rebondissement magistral pour conclure mais où le lecteur sent bien que le vrai sujet est ailleurs.
Le récit, au-delà de la dynamique policière, se transforme au fil des pages en roman sur la mémoire et l’enfermement. Un livre sur le poids du passé, les méfaits de la rumeur, l’emprise du clan sur l’individu, sur les racines et les chaînes qui empêchent parfois d’être soi.

Exposées au premier rang, férocement attaquées par l’auteur, la vulgarité et l’inconséquence de la presse, avec une dénonciation sans concession de ces journalistes médiocres et avides de sensationnel qui, impuissants à saisir l’humain dans son contexte, se contentent d’idées reçues, d’hypothèses et de jugements à l’emporte-pièce pour entraîner l’opinion publique à leur suite sans souci de véracité ou de respect de l’individu.

Caroline Sers, dans ce deuxième roman, emmêle habilement les fils pour brouiller les pistes et nous balader malicieusement jusqu’au dénouement, en toute dernière phrase.
Elle sait à merveille débusquer, au détour des phrases, les non-dits, les secrets pour en nourrir intrigue et personnages. Le jeune Claude, Simon, Camille, l’enfant abandonnée par sa mère, le rémouleur, le vieil Emile, figure tutélaire du village, et son fils jean, le bistrotier, tous, remarquables de justesse, au travers de l’histoire collective se dévoilent à nous, prennent corps et donnent sens au récit tout en gardant leur part de mystère.

Un roman qui dresse aussi en touches incisives le tableau d’un monde rural contemporain généralement ignoré voire méprisé, trop souvent jugé à renfort de clichés que l’auteur prend plaisir à démonter pour en démontrer l’inconsistance.
De son écriture classique et efficace Caroline Sers renouvelle ici le roman rural. En le mariant avec le polar, elle lui insuffle une énergie revitalisante et l’actualise pour nous le rendre plus proche.
La maison Tudaure est un roman sombre, prenant, qui nous tient en haleine et nous embarque avec talent dans les méandres de l’âme humaine. Le lecteur est bluffé mais aussi touché, notamment par l’étrange trio familial composé de Camille, Simon et Claude, et c’est bien agréable. Une réussite, un vrai plaisir de lecture.

Dominique Baillon-Lalande 
(26/10/06)    



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Editions Buchet-Chastel
220 pages
16 €






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