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Janine TEISSON
Quel bonheur de lecture ! Quel déroutant roman ! Et quel élan dans ce polar !… Cette femme va alors revenir sur les derniers quinze jours qui ont précédé l’article du journal. Ainsi : « Longtemps j’ai cru que les femmes qui exhibaient un hibiscus sanglant, une orchidée violine ou un fuchsia en bouton là où d’autres ont une bouche, vivaient avec cette fleur de graisse au visage sans y penser, quasi naturellement. Je constate aujourd’hui que j’étais dans l’erreur. Il n’y a rien d’infus dans le port d’une bouche peinte. » Mais qui est-elle cette femme, qui décide de prendre ses vacances à Paris pour éviter une vieille routine – camping-Escaillon-Plage – et s’interroge sur le rouge à lèvres ? On va la voir, la nuit : « Mes talons claquent. Je vais au Rico bar. J’ai lu dans Sortir la Nuit qu’on y croisait une foule cosmopolite, artistico-interlope. » Mais nous allons poser là nos interrogations, déjà bien enchevêtrées les unes aux autres…Car nous voilà embarqués dans une histoire fantaisiste, enlevée, au ton caustique. Et nous soupçonnons vite son auteure, Janine Teisson de s’amuser à nous dérouter. Que nous distille-t-elle ainsi au bout de sa plume ? Nous vient alors l’idée d’une sorte d’injonction, façon : « allez, emballé, c’est pesé ! » Et de nous voir obtempérer très vite pour nous perdre dans les méandres de son humour et de ses traits acérés… Cette verve extraordinaire s’infiltrerait-elle à notre insu ? Certains personnages qui fréquentent Le Rico méritent être croqués... Après avoir observé un homme en train de gonfler, devant ses collègues, un préservatif à l’effigie du pape, notre héroïne n’hésite pas à extrapoler : « Quelle drôle d’idée ont eue les hommes d’inventer Dieu, tout de même. Une idée sortie toute bénie de leur cerveau de grenouilles. Et comme ils l’ont enchiffonnée, colorée, surdorée, rebrodée, surchargée par la suite. […] Plus extravagante que l’idée d’inventer un dieu est celle de croire que le nôtre puisse être le bon et pas celui du voisin. Dérisoires petits humains, vous ne savez pas quoi faire pour vous faire remarquer par votre Dieu. » Ainsi pense Fine Rossignol accoudée au bar en buvant sa Margarita habituelle ! Car le Rico devient le centre de ses vacances, avec les rencontres possibles qui provoqueront peut-être les changements souhaités dans sa vie. Ces personnes, qu’elle n’a pas l’habitude de fréquenter, l’intriguent, la touchent… Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Une jeune femme, Camille, en proie à la violence d’un consommateur et défendue par Fine lui dit : « Avant-hier tu retiens un clone d’un mètre quatre-vingts au bord du crime passionnel, et aujourd’hui tu fais fuir un microcéphale hypertrophié des biceps qui en veut à mon cul ? T’es une flique ou quoi ? » En entrant dans ce roman, le lecteur, tout à son plaisir de côtoyer un verbe flamboyant avec quelques vérités sur nos contemporains distribuées çà et là, ne cherche pas encore un sens, convaincu déjà que celui-ci peut virevolter au gré des espiègleries de cette auteure. Jusqu’à nous laisser jouer avec son leurre… Nous avons confiance. Intuitivement, nous devinons que plus tard le sens se dévoilera en éclairant ces minuscules indices qu’il nous a semblé voir au détour d’une phrase… Suspense récurrent oblige ! Mais en attendant, nous nous en moquons, nous sommes en immersion dans ce festival d’écriture, nous avons plongé dans ce flot de phrases truculentes, savamment composées pour la dégustation. Cependant ce flux continu de trouvailles, de pointes aiguës peut aussi nous émouvoir lorsqu’il nous montre que la légèreté peut faire partie du leurre initial. Tout comme son héroïne, Fine Rossignol. Reviennent les questions : qui est ce Monsieur Rossignol dont parle l’ami Africain rencontré ? Son mari ? Qui va mourir ? Et qui va trouver le fin mot de l’histoire ? Car même si nous baignons toujours aussi voluptueusement dans notre lecture, cela ne nous détourne pas de notre envie de comprendre… les évènements ! En exergue, à chaque début de chapitre, une phrase. Pour nous éclairer ? Le début du roman est délicieusement frappeur, incisif, ensuite l’histoire prend de l’ampleur, et s’installe en se compliquant et la fin… Ah ! mais non, vous devrez patienter... Ainsi après Thalasso-crime, un premier polar de cette auteure qui nous avait déjà régalés, voici une sorte de bijou fantaisie mais précieux que nous aimerions rencontrer plus souvent. Car si ce livre nous invite à rire, à penser comme à nous gausser, il nous donne aussi envie de partager notre enthousiasme. Et puisque Fine Rossignol elle-même nous confie : « Maintenant ma mer est la lecture. Ah! Plonger dans les livres, m’y noyer, rouler dans leurs vagues, me laisser aspirer par leurs bas-fonds, perdre en la notion du temps, m’éclabousser de beauté, me griser de la folie des abîmes, pêcher la perle précieuse puis rejaillir à la surface pour redescendre aussitôt. » Anne-Marie Boisson (28/05/15) |
Sommaire Noir & polar Chèvre feuille étoilée (Mai 2015) 280 pages - 10 €
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