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Pascal GARNIER


Vieux Bob


Réédition d'un recueil de neuf nouvelles de Pascal Garnier qui nous a quittés en 2010.

Des histoires de rendez-vous manqués, de solitude, de vieillesse, de fulgurance, de bonheur ou de violence qui traversent des vies ordinaires engluées dans leur quotidien.
S'il n'y avait cette humanité, ce sens du détail, ces renversements de situation et cet art de piéger le lecteur avec d'improbables chutes ou de redoutables ellipses, ces "bribes de vie" d'une banalité navrante pourraient faire fuir. Mais voilà, ce serait compter sans le talent singulier de cet auteur rare, façonné par ses paradoxes (entre misanthropie, désespoir et provocation d'une part et romantisme, sensibilité, générosité et empathie, d'autre part) ; ce serait oublier la puissance de Pascal Garnier à entraîner son lecteur dans cet espace décalé qu'il s'est toujours plu à construire, à  habiter et à partager, en toute complicité, avec ses lecteurs.

« Tout seul, c'est pas drôle, on n'est plus qu'une moitié qui passe son temps à chercher l'autre... »
Alors,  deux inconnus, assis côte à côte dans le métro, un vendeur du rayon poissonnerie auquel l'odeur s'attache irrémédiablement et une toute jeune employée de bureau encore pleine de rêves, harassés par leur journée, vont s'effleurer et leur destin, suite à un malencontreux retard et à la nuit, va déraper (Elle et lui). Victor, malien, manutentionnaire aux dépôts près de la gare et hébergé en foyer depuis plusieurs années et Zoubida, fille de harki, décident eux en commun, après leur rencontre à ce bal qui a viré au baston, de s'échapper ensemble voir la mer (Eux). À peine plus âgés, Édouard et Marie-Hélène, jeune couple modeste avec un landau, se rendent sans enthousiasme au repas dominical des parents,  longeant la voie du RER et passant près de la biscuiterie abandonnée  où ils ont eu leurs premiers ébats (La barrière). 
Difficiles aussi les vacances en solitaire. Un homme en villégiature pour une quinzaine de jours en bord de mer, noyé de solitude, s'entiche de toute une famille (père, mère, chien et enfants) installée sur la plage à ses côtés mais résidant probablement dans une des villas cossues de la station. La fillette, surtout, capte toute son attention, jusqu'à le pousser à les suivre dans l'ombre au retour (Cabine 34).  

Mais être deux et fonder une famille ne garantissent pas le bonheur à perpétuité.
Une mère de famille encore jeune mais engloutie par la routine et le poids du quotidien ressent le besoin d’une escapade en solitaire dans une station balnéaire pour faire le point (Couple, chien, plage).
Plus loin engagés dans le chemin, ceux dont les oiseaux sont partis du nid les laissant seuls face à face, se trouvent parfois aspirés par le vide et l'absence, comme ce vieux couple, vivant aujourd'hui en tête à tête dans leur petit pavillon de ville nouvelle attendant en frémissant la visite de leur fille (Ville nouvelle) ou celui qui accompagne à la gare un fils trop vite devenu grand (Paris-Melun-Paris).
Mais certains ne partent pas, comme le fils jamais grandi et fasciné par les avions qui loge avec sa mère au dernier étage de l'immeuble d'un narrateur qui vient d'être plaqué par sa compagne. « Deux pauvres gueux que les gens de l'immeuble tolèrent autant par pitié que par habitude. Du plus loin qu'on se souvienne, on les a toujours connus là, relégués sous les combles, dans la toute dernière chambre de bonne, au fin fond du couloir où même les chats n'osent pas s'aventurer. [...] Aux dires des plus anciens locataires, le fiston devrait avoir dans les trente-huit ans mais [...] on lui en donnerait seize comme soixante. [...] On dit qu'il se paluche le soir dans le coin des poubelles ou bien qu'il couche avec sa mère [...]. En fait on ne sait rien du tout et tout le monde s'en fout. [...] Ils sont entourés d'un flou impénétrable qui les rend quasiment invisibles. » (Ami)

Ce n'est pas un homme mais un chien, Bob, qui est au centre de la nouvelle titre du recueil. Un animal usé, meuble du café-tabac-restaurant dont sa maîtresse était la patronne. Sa fille qui lui a succédé a beau défendre le pauvre clébard, Jean-Pierre, le patron, et les serveurs ne supportent plus ce poids mort toujours dans leurs pattes. Pierrot le vieux pilier de bar alcoolique présent depuis toujours de l'ouverture à la fermeture du rade, n'est pas plus vaillant. Ce n'est pas beau de vieillir...
 
Il n'y a pas à proprement parler ici de héros, de victimes, de malheur et de drame, ou alors tout cela vu sous un autre angle et positionné sur une échelle de valeur différente. On trouve d'ailleurs peu de cadavres dans ces pages. C'est la société des invisibles, les faits divers et la vie ordinaire, avec le coup de sang ou la lassitude et le ciel bas qui plombent le moral mais aussi le regard, le sourire,  le geste, le rayon de soleil qui brutalement illuminent le ciel et la petite vie étriquée qui gène aux entournures, qui définissent l'univers de Pascal Garnier. Et parfois, mais pas toujours, cela dérape et/ou se termine mal.
« Que faire d’un personnage beau, riche, en bonne santé, jeune et amoureux ? Si tout se passe bien pour lui, je n’écris pas cinq pages ! C’est le croche-pied de la vie qui fait basculer un destin. Cinq minutes avant de planter un couteau dans le dos de sa victime le criminel est encore un innocent. C’est cette bascule qui m’intéresse. » expliquait Pascal Garnier dans son interview pour Encres Vagabondes.

Ces histoires où « le choc des mots crée une image, un sentiment, une sensation physique », ces bribes de vie, constituent comme un album de photos instantanées qui nous parlent du monde tel qu'il va, de guingois, entre désespérances et petits bonheurs, saisi par le regard aiguisé mais plus humaniste qu' entomologiste de l'auteur.
Beaucoup d'angoisse et de tendresse derrière tout cela, un appel au secours et de la révolte aussi, parfois.
« Les rides, les cicatrices, c’est la vie, tu la prends à pleins bras et tu en prends plein la gueule, mais c’est comme ça, il ne faut pas être tiède. » «Je crois que dans le monde rien n’est défini, même pas la mort. Tout est aléatoire. Les gens cherchent à se rassurer, à confirmer leurs thèses, mais on est toujours sur un terrain mouvant. » (interview Encres Vagabondes)
Les nouvelles sont belles et émotionnellement riches et les personnages, qui tantôt nous rappellent nos frères, nos voisins, nos collègues, leurs enfants, tantôt nous renvoient à nous-mêmes, s'ils sont parfois violents ou pathétiques sont le plus souvent perdus, attendrissants et émouvants.  

« Un bon auteur, c'est un auteur qui ne se voit pas. Ce sont les personnages qui comptent. Que les gens se souviennent des personnages, d'une histoire, et pas du nom de l'auteur, c’est très bien. » aimait à dire Pascal.
Il péchait là par modestie : si ses personnages, toujours, existent par ses mots de façon proche et forte, le style et la "façon" de Pascal Garnier se reconnaissent aussi indubitablement dès la première page. C'est ce que l'on appelle la maîtrise et le talent.
Et la distance imposée par sa disparition en 2010 colore cette nouvelle plongée dans son univers de façon éminemment émouvante, nous faisant ressentir profondément la singularité de sa voix et le vide qu'il a laissé.
Merci aux éditions In8 de republier ces nouvelles oubliées et de nous le faire entendre à nouveau.

Dominique Baillon-Lalande 
(04/06/15)    



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Lectures




Éditions In8

(Septembre 2014)
80 pages - 12 €




Vous pouvez lire
sur notre site

un entretien avec



Pascal Garnier

(décédé le 5 mars 2010)



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