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Pascal GARNIER


Lune captive dans un œil mort



Martial et Odette ont cédé aux arguments séduisants avancés par l'agent immobilier spécialisé dans la vente des logements en résidences seniors. Ils ont donc vendu leur petit pavillon et abandonné leur vie grise de banlieue pour mettre le cap vers le sud, là où les attend la promesse d'une vie douce au cœur d'un paradis ensoleillé.

« Les Conviviales » est une sorte de camp de vacances permanent avec des villas roses, petites mais coquettes, avec des propriétaires triés sur le volet. « On avait bien insisté sur la moralité du voisinage, pas d'étrangers trop étranges, pas de chiens, pas de chats, pas d'enfants ou de petits-enfants plus de quinze jours d'affilée, pas de... ». Le couple de cadres à la retraite est certain d'y trouver bonne compagnie, confort, calme et sécurité absolue. C'est cela surtout, avec la promesse d'ensoleillement permanent, qui les a convaincus, la sécurité.

Pour ce couple sans nuage et en bonne santé, c'est une nouvelle vie qui commence. « C'était un peu comme s'ils s'étaient payé l'éternité, ils n'avaient plus d'avenir. Preuve qu'on pouvait s'en passer. » Après avoir emménagé et vidé cartons et valises, ils tentent de personnaliser quelque peu leur nouvelle demeure si identique aux maisons vides qui les entourent qu'ils craignent parfois de se tromper. « La cinquantaine de maisonnettes s'alignaient sagement de part et d'autre d'une large voie centrale d'où rayonnaient des allées de gravillons la reliant aux habitations. Vu d'avion, ça devait ressembler à une sorte d'arête de poisson. » Rapidement, l'isolement de la tranquille résidence clôturée et surveillée, l'absence de voisins leur pèsent. Ils tournent en rond et se mettent à guetter fébrilement l’arrivée de nouveaux résidents. «  Derrière la vitre, les antennes de télé qui s'amenuisaient dans une perspective infinie lui faisaient penser à des croix sur des tombes : On s'est acheté une concession à vie... » Les défaillances techniques du dispositif de sécurité et la personnalité étrange et brutale du gardien ajoutées à l'ennui contre lequel ils luttent déjà les déstabilisent quelque peu.

Mais enfin, les premiers voisins arrivent. Des gens biens, aisés et charmants prénommés Maxime et Marlène qui devraient constituer une compagnie idéale. Puis ce sera le tour d'une femme seule, Lea, un peu plus jeune, secrète, indépendante. Cela fera le compte pour que la piscine privée soit remplie et que le club-house entre enfin en fonction, Odette attend cela avec impatience. Martial, lui, s'en moquait. «  Nager l'ennuyait. On n'allait jamais nulle part en nageant et il fallait constamment agiter bras et jambes pour ne pas couler. Il n'y avait rien à voir que du bleu, dessus, dessous, c'était con. » L'animatrice professionnelle, Nadine, une hippie sans qualification recrutée dans l'urgence à proximité apprendra-t-on plus tard, y sera à leur disposition pour leur proposer distractions variées et découverte de la région.

Le huis-clos que rien ne viendra dorénavant rompre est alors en place. Ce petit monde se reçoit, se fait quelques confidences, partage au mieux le temps qui passe sans surprise mais agréablement. Tout serait pour le mieux si le gardien taciturne, capable de massacrer un chat à coup de pelle, ne terrorisait pas davantage les résidents qu'il est sensé protéger que d'hypothétiques éléments extérieurs susceptibles de troubler leur tranquillité. Qui plus est, le système ultra sophistiqué qui assure leur sécurité a la fâcheuse manie de tomber en panne à chaque orage, perdant toute efficacité mais bloquant le portillon devant leur voiture quand l'envie de sortir les prend. Doucement, la pression monte. Les «  Conviviales » se font prison et, à force d'être cloîtrés, ensemble, loin du monde extérieur, à la merci d'un cerbère paranoïaque et d'une technologie aléatoire, tout finit par terroriser les retraités, les nomades installés sur le terrain vague à proximité ou les ombres qui rodent la nuit.

Entre eux l'atmosphère devient alors explosive, les troubles obsessionnels et les blessures secrètes s'affichent, les divergences s'affirment et chacun perd peu à peu son sang-froid. Odette est constamment agacée par cette mouche qui ne la quitte jamais, les absences de Léa s'aggravent, Maxime, ce « petit con prétentieux. (...) qui croyait bouffer le monde grâce à son sourire Colgate, plein de dents, qui avait mis son bel oiseau en cage et ses rêves au placard » noie son ennui dans l'alcool pendant que sa fragile Marlène rumine ses lubies morbides, et le paradis promis se transforme progressivement en enfer. Quand Maxime exhibe fièrement son arme devant Martial, on devine que le dérapage est inévitable. Le coquet cimetière de luxe pour vieux riches aura ses trois cadavres…

Les personnages de Pascal Garnier sont attachants. Des êtres ordinaires, pas vraiment méchants mais usés par la vie, cassés par des drames personnels, qui ont voulu croire au bonheur et qui se sont tous fait pigeonner par un promoteur sans scrupule. Avec beaucoup d'humanité et de finesse, l'auteur s'appuie sur le portrait d'une génération en fin de vie à qui l'on vend le bonheur comme une marchandise pour aborder le cœur même de son sujet : la solitude, le couple, la vieillesse et le délire sécuritaire. En filigrane court en permanence une violente satire de cette société qui ne se soucie que du profit au mépris le plus total des individus qu'elle manipule à son gré.

L'auteur re-visite ici le schéma classique du huis-clos à l'effet « cocotte minute » pour le faire basculer du registre psychologique à celui du noir tendance « pétage de plombs » qu'il maîtrise à merveille depuis longtemps. Il y plonge ses personnages hybrides, moitié victimes moitié monstres ordinaires, jusqu'au paroxysme de la violence, jusqu'au délire le plus absurde et le plus improbable.
Mais, cette fois, en plus, il se permet d'en sourire et de nous en faire rire.
Passé maître dans l'investigation des travers de notre société et de nos propres pathologies, il en fait ici une fable grinçante à l'humour noir garanti. C'est caustique, virulent, sans espoir, mais extrêmement drôle.

Pascal Garnier confirme ici tout son talent : art du scénario qui tient le lecteur en haleine, qualité des images et virtuosité de l'écriture, habile mélange d'humanité et de misanthropie, de tendresse attentive et de violence, qui font de lui un des maîtres du roman noir français d'aujourd'hui.
Un régal.

Dominique Baillon 
(06/04/09)    



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Editions Zulma

156 pages
16,50 €









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