Retour à l'accueil





Joyce Carol OATES


La fille du fossoyeur


«  Elle n’était pas sa fille. Elle ne l’avait jamais été. Elle ne devait rien non plus à sa mère. On ne pouvait discerner aucune ressemblance entre eux. » Ces paroles de reniement, qui résonnent dès le prologue de La Fille du fossoyeur, posent d’emblée les thèmes de la filiation et de l’identité qui irriguent le livre. Rebecca Schwart est née en 1936, dans une famille d’émigrants juifs qui ont fui l’Allemagne nazie et refusent de reconnaître leur judéité. Autrefois professeur de mathématiques, le père, Jacob, n’a trouvé aux USA qu’un emploi de fossoyeur, et s’enferme depuis dans une amertume et un désespoir qui le rendent redoutable pour ses proches et qui évolue peu à peu vers un délire paranoïaque et meurtrier. La mère, Anna, sombre de son côté dans une dépression profonde. La fillette est élevée dans une atmosphère misérabiliste et d’une morbidité délétère, jusqu’au drame atroce qui met brutalement fin à son enfance et la marque d’un signe fatal. Elle rejette alors violemment ses origines, bientôt heureuse de changer d’identité en épousant un homme dont la virilité brutale la séduit et l’effraie, et dont elle ne tarde pas à découvrir la dangerosité et la violence. Lorsqu’elle le quitte avec son fils Zack, elle prend le nom d’Hazel Jones pour mieux échapper à ses poursuites, et se fabrique une personnalité de façade, lisse, charmeuse et ultra féminine, qui lui permet de dissimuler son véritable caractère, et de se reconstruire un passé fictif. En tant qu’Hazel Jones, elle connaît une ascension sociale surprenante, et finit par épouser Chet Gallagher, héritier d’un vaste empire médiatique, tandis que Zack commence une carrière de pianiste virtuose. Mais Hazel ne pourra se réconcilier avec elle-même qu’après avoir renoué avec Rebecca, la fille du fossoyeur.

Le livre s’organise autour de la personnalité de l’héroïne, dont il retrace l’existence de la naissance à la mort probable, sans s’assujettir totalement à l’ordre chronologique puisque l’enfance est évoquée dans un long flash-back. La féminité séductrice d’Hazel Jones, sa naïveté apparente cachent en fait l’âpreté d’une jeune femme acharnée à survivre, qui a l’expérience intime du mal et qui cherche avant tout à protéger son fils, qu’elle croit prédestiné par « le souffle de Dieu » à une grande carrière musicale. Le prodige est qu’il accomplira effectivement cette destinée dont sa mère avait eu l’intuition. La vocation de pianiste de l’enfant parcourt le livre comme un fil rouge, et la musique y donne lieu à des évocations superbes, suggérant que la beauté quêtée par l’artiste peut justifier une existence qui se réduirait sans elle à une succession d’événements dépourvus de sens. Et permettre à son fils de réaliser cette vocation donne justement sens à la vie de Hazel, jusqu’au moment où, sa tâche accomplie, elle ne parvient plus à supporter le mensonge sur lequel elle a bâti leur réussite. Car Hazel n’a jamais rien dit de Rebecca à ceux qui lui sont les plus proches, pas même à son mari qui l’aime profondément. Au terme de sa vie, elle retrouvera une cousine rescapée de l’Holocauste et reprendra pour elle son identité perdue, acceptant de reconnaître pour siens les parents qu’elle avait reniés et d’assumer son passé familial.

Le récit, très prenant, remarquablement construit, éveille chez le lecteur des émotions qui prennent à la gorge. Il montre comment le passé traumatisant de Rebecca, son enfance et sa première expérience conjugale, l’ont marquée à jamais et expliquent à la fois sa rage intérieure et sa résistance à Chet Gallagher, à qui elle se refuse longtemps tant elle est sûre que « quand un homme vous aime ainsi, il finira par vous haïr. » Certains épisodes sont d’une grande noirceur, qui n’étonne pas sous la plume de Joyce Carol Oates. Mais l’épilogue n’en apporte pas moins une note apaisée, qui conclut sereinement l’histoire tourmentée de Rebecca Schwart/ Hazel Jones.

Sylvie Huguet 
(18/08/09)    



Retour
Sommaire
Lectures





Editions Philippe Rey

660 pages - 24 €

Traduction
Claude Seban




Editions Philippe Rey
Joyce Carol Oates,
née en 1938, passe une enfance solitaire face à sa sœur autiste et découvre, lorsqu'elle s'installe à Detroit au début des années 60, la violence des conflits sociaux et raciaux.
Son Journal (1973-1982)
a paru en avril 2009
aux éditions Philippe Rey.



Vous pouvez lire sur notre site des articles concernant d'autres livres du même auteur :

Les femelles

Vous
ne me connaissez pas


Viol

La Fille tatouée

Les Chutes
Prix Femina Etranger 2005

Hantises