Joyce Carol OATES, Les Chutes



Le titre de ce roman renvoie aux Chutes du Niagara, près desquelles se déroule l'action entière, et pour commencer l'épisode initial, d'une puissante intensité dramatique.

En 1950, Ariah et Gilbert Erskine arrivent dans le somptueux hôtel Rainbow Grand pour y passer leur voyage de noces. Il s'agit d'un mariage arrangé, qui, pour l'un comme pour l'autre, représente une chance ultime : âgée de 29 ans, Ariah veut à tout prix éviter de finir vieille fille, et Gilbert, jeune pasteur presbytérien, a besoin d'une épouse pour gérer convenablement la paroisse qui va lui être confiée. Mais tous deux sont prisonniers d'un puritanisme extrême et terrorisés par le sexe. Le premier soir, Ariah boit quelques coupes de champagne ; elle y puise assez d'audace pour tenter des initiatives qui révulsent son mari. La nuit de noces est catastrophique. Au petit matin, Gilbert, malade de dégoût, incapable de supporter le souvenir de la nuit et la présence d'une épouse qui désormais lui répugne profondément, choisit le suicide et se précipite dans les Chutes.

Pendant huit jours, Ariah, sûre d'être « damnée », erre au bord du fleuve dans un état d'hébétude extrême. Elle est remarquée par un jeune et brillant avocat, Dick Burnaby, qui, contre toute attente, tombe amoureux d'elle et la demande en mariage quelques mois plus tard. Pendant plus de dix ans, Ariah mène auprès de lui la vie d'une épouse et d'une mère de famille comblée.

Mais en 1962, la malédiction la rattrape. Dick se dévoue corps et âme à une cause perdue d'avance, celle des victimes misérables de la pollution chimique engendrée par les nombreuses industries qui ont proliféré dans la région. Considéré comme « traître à sa classe », abandonné par ses amis, il se heurte à la collusion des pouvoirs industriels, judiciaires, administratifs et médicaux. La tragédie qui s'ensuit ne sera élucidée qu'en 1978, lorsque, les mentalités ayant changé, la cause qu'il avait défendue triomphe enfin. Entre temps, ses enfants auront été profondément marqués par le drame qui a détruit la vie de leurs parents, et sur lequel leur mère est toujours restée muette. Ce sont eux qui mèneront l'enquête sur la disparition de leur père. Ils retrouveront enfin la paix avec la réhabilitation de ce dernier.

Le roman de Joyce Carol Oates est donc tout d'abord l'histoire d'une famille, et trace quelques portraits fascinants, comme celui d'Ariah, femme uniquement centrée sur son univers familial à l'exclusion de tout autre intérêt, au point de ne rien comprendre au combat de son mari ; c'est un personnage à la fois très fort et profondément névrosé, envers qui le lecteur hésite entre la sympathie et le rejet. Mais le livre jette aussi un regard éclairant sur trente ans d'histoire américaine. Outre les méfaits du puritanisme illustrés par l'épisode initial, il dénonce les ravages de la pollution industrielle, à une époque où ceux-ci n'étaient pas encore reconnus et où leurs victimes, malgré des préjudices très graves – leucémies foudroyantes, cancers divers, fausses couches, multiples allergies – n'avaient aucun moyen de se faire entendre face à la conspiration du silence organisée par les différents pouvoirs. Enfin, Les Chutes est un roman remarquablement mené, qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne.

Sylvie Huguet 



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Editions Philippe Rey
505 pages
22,80 €

Prix Femina
Etranger 2005


Traduction
Claude Seban







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