Joyce Carol OATES

Vous ne me connaissez pas


Les dix-neuf nouvelles de ce recueil sont autant d’interrogations sur l’identité des êtres, lors d’une circonstance où leur destin risque de basculer – circonstance qui peut être un viol, un meurtre, mais aussi bien une visite banale rendue à un vieillard dans une résidence médicalisée. Le personnage n’est plus sûr de ce qu’il est ni de ce que sont les autres, et son trouble se communique au lecteur.

Une fillette surprend ses frères, une nuit, en train de laver une batte de base-ball qu’ils vont ensuite enterrer. Le lendemain, elle apprend le meurtre d’un jeune Noir battu à mort. Le secret sera trop lourd pour elle. Son enfance et même sa vie de femme en seront brisées.

Une adolescente est enlevée par un tueur en série qui la séquestre, la viole et la torture, mais, contrairement à ses autres victimes, il renonce à l’assassiner. Pourquoi ? Des années plus tard, elle s’interroge encore.

Une autre, un soir, est harcelée par l’oncle salace des enfants qu’elle est venue garder. L’homme jovial et amical qu’elle croyait connaître prend soudain le visage d’un étranger, un ivrogne dangereux et pervers.

Une jeune femme fournit un alibi à l’homme qu’elle aime, et dont le père et le frère ont été sauvagement assassinés. A-t-elle menti ? Est-il innocent ou coupable ? Le mystère demeure.

Dans Jorie ( & Jamie) : une déposition, une fillette évoque le comportement de sa sœur jumelle gravement psychotique, qui transformait la vie familiale en cauchemar. Au fil de son témoignage, on comprend le sort pitoyable qui a été infligé à la petite malade. Mais faut-il considérer la mère comme un monstre ou bien plutôt comme une victime ? La question reste posée.

Dans cette dernière nouvelle, comme dans beaucoup d’autres, le non dit est essentiel ; la vérité se laisse lire entre les lignes. C’est également le cas dans En fuite, où l’auteur met en scène un couple étroitement uni. Elle est blanche, il est noir ; il dirige des éditions universitaires, elle publie essais et poésies. Un soir, le jeune frère du mari vient leur demander asile, poursuivi par la police. Elle l’accueille, lui sert un repas, mais s’éclipse ensuite pour se réfugier au bord de la rivière qui coule derrière leur maison. Son mari lui demande de rentrer. Le suivra-t-elle ? On comprend que c’est l’avenir de leur couple qui est en jeu. «  Elle se vit grimper les marches, courir après lui. Attends ! J’arrive ! s’accrocher à son bras musclé Oui bien sûr je suis là mais resta pourtant assise, immobile, paralysée, comme perdue dans un rêve, dans ce suspens de la volonté et même de la pensée entre sommeil et veille, attendant les yeux fixés sur la rivière de comprendre ce qu’elle allait faire, ou avait déjà fait. »

Le couple survivra-t-il ? Le rôle essentiel du non-dit autorise des fins ouvertes, comme dans cette nouvelle où le jeune Rickie, âgé de quinze ans, entretient une liaison passionnée avec son professeur Mme Halifax. Dès le départ, on sait que leur relation aura duré onze mois. Mais comment s’achèvera-t-elle ? Des indices laissent à penser que la jeune femme sera traduite en justice, certains suggèrent même clairement un meurtre, mais l’histoire prend fin avant. De même, dans Maître assistant, une jeune universitaire décide de rendre visite à l’un de ses étudiants, un ancien condamné à mort qui lui voue un culte silencieux. Qu’en adviendra-t-il ? La nouvelle s’achève lorsque la porte s’ouvre, laissant la situation en suspens.

Contrairement à celles de Hantises, les nouvelles qui composent Vous ne me connaissez pas restent dans le cadre du réalisme, sauf peut-être la dernière qui, partant de l’attentat du 11 septembre, glisse vers un étrange fantastique moderne. Elles n’en distillent pas moins une inquiétude tenace, un malaise sournois qui s’impose au lecteur.

Sylvie Huguet 
(19/12/06)    



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Editions Philippe Rey
350 pages, 21 €

Traduction
Claude Seban



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www.philippe-Rey.fr




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