Ses premiers souvenirs datent de l’orphelinat (comme tant d’autres personnages dans l’œuvre de Gilles Paris). Elle y a rencontré Ben, qu’elle considère comme son frère. Ils ont été placés dans la même détestable famille d’accueil, puis ils ont été recueillis par Pierre, et ensuite elle s’est installée chez Madeleine qui vivait dans un manoir avec ses douze chiens.
Tous ces personnages, on les découvre peu à peu, au fil de ce texte écrit à la première personne, où Belle met tout en lumière, le passé et le présent, en revoyant les diverses périodes de sa vie, pour comprendre qui a pu faire le lien entre la femme d’hier et la star d’aujourd’hui, et lui envoyer une lettre anonyme aussi brève que menaçante : « Moi aussi, j’ai connu Madeleine. »

Belle mène deux enquêtes en parallèle. La première concerne Ben, son frère d’orphelinat, dont elle suit la vie à distance grâce aux services d’un détective privé qu’elle rencontre dans un café une fois par mois. « Julian rentre d'un long voyage en Floride et à New York, à la recherche de Ben. "Un drôle de zouave", selon lui. » Ben s’est marié à un professeur d'océanographie de la faculté de Miami, Igor Turner, ils ont adopté trois enfants, et Ben a disparu à nouveau. Le détective l’a retrouvé à New-York, remarié « avec une Madrilène aux origines moldaves, déjà mère d'une petite fille qu'il compte élever, à moins que le large ne l'appelle encore ». Et là encore, il est parti…
« Je ne peux blâmer Ben qu'une vie instable a mené à de tels excès. J’en suis en partie responsable. […] Ben ne sait que défaire. Sa vie est un chaos incessant où j’ai joué le plus mauvais rôle. »

L’autre enquête, tout intérieure, est un rigoureux passage en revue de son propre passé pour essayer de trouver qui pourrait lui envoyer ces lettres anonymes, parce qu’il y en aura plusieurs. Comment le corbeau a-t-il (ou elle) connu Madeleine et retrouvé en Belle celle qu’on nommait alors Talia.
« Je n'ai plus rien de l'époque où Madeleine m'avait surprise en train de voler portefeuilles et bijoux dans la rue et proposé un métier plus rémunérateur. Elle s'assoupissait tandis qu'on lui parlait, vautrée sur son lit avec ses douze chiens, mère maquerelle des beaux quartiers qui m'a élevée de la rue aux palaces étoilés, et fait de moi l'escort-girl la plus demandée. »
« Madeleine m'a fait prendre des cours de maintien et de danse. À vingt-cinq ans, je savais marcher dignement, la tête haute, m'asseoir dans une posture des plus élégantes, m'allonger l'air alanguie pour faire monter le désir de mes clients. […] Je dois tout à Madeleine, et si je crève l'écran aujourd'hui, c'est parce que j'ai su tirer parti de toutes les leçons que m'a enseignées la mère entremetteuse. »

Belle a eu des amants et des amantes, pour le plaisir ou pour l’argent, mais elle ne s’est jamais attachée. En ce moment il y a Régis, un machiniste rencontré sur le tournage d’un film, mais elle va le quitter. Il n’y a pas de place pour un attachement dans sa vie en perpétuel mouvement

Gilles Paris réussit encore un roman passionnant autour d’une femme mystérieuse, aux multiples facettes qui s’est toujours efforcée de maîtriser ses vies successives, passant de l’une à l’autre sans possibilité de retour en arrière. Mais saura-t-elle conserver longtemps son mystère ? Devra-t-elle quitter cette vie de star pour en mener une autre, sous un autre nom, une autre identité, dans un autre pays ? C’est tout l’enjeu de cet excellent suspense qui souligne l’importance du passé dans la construction du présent. Se souvenir d’où l’on vient c’est bien, mais que quelqu’un d’autre vous le rappelle, ce peut être gênant, surtout quand tout n’a pas été légal…

Serge Cabrol 
(02/10/23)