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Gérard GLATT


Tête de paille


L’amour au sein d’une fratrie n’est pas toujours une évidence. On peut s’aimer, s’ignorer, se détester, toute la palette de sentiments est possible et mouvante selon les âges. La naissance d’un enfant « différent », quelle que soit la différence modifie aussi les rapports dans un sens ou un autre. Ici, c’est la peur qui peu à peu va se mêler à l’amour au fil des années, au fur et à mesure que Tête de paille, surnommé ainsi pour sa blondeur, grandit, prend du poids et de la force.

L’auteur, dont nous avons déjà chroniqué plusieurs livres où il avait sans doute glissé ici ou là quelques éléments autobiographiques, consacre ce roman à son frère, à la vie de son frère, à la vie difficile avec ce frère déficient intellectuel aux colères de plus en plus violentes, ce frère né un an après lui, aimé et redouté, qui dépasse un jour les cents kilos et dont les crises terrorisent la famille.

Le récit s’ouvre sur l’annonce de la mort de Daniel, à trente-neuf ans, à l’hôpital d’Evry. On est alors en 1984 et Gérard n’a pas revu son frère depuis seize ans. Sa femme et sa fille ne le connaissent pas. Daniel a été interné dans un hôpital psychiatrique en 1968 pendant que Gérard effectuait son service militaire.

À l’enterrement sont présents les parents et Jean-Loup, le frère aîné, mais aussi le personnel et les pensionnaires du centre spécialisé où réside Daniel depuis trois ans, après treize ans d’internement. La plaie est toujours vive pour la famille et l’arrivée des amis de Daniel est mal vécue.
« Alors, je me suis demandé comment mon père prendrait la chose lorsqu'ils débarqueraient tous, en bande monstrueuse et braillarde, et s'élanceraient jusqu'à nous. Laideurs en tête. Et bouquets mal ficelés.
Mais il était trop tard pour penser à tout ça. Car, bientôt, comme la vilénie, le car les déversait en grappes de trois ou quatre. Ils commencèrent à piailler, à grouiller autour de nous. Et mon père, médusé, n'a rien dit. Non plus que ma mère qui en évita de justesse quelques-uns pour ne pas être renversée... Ah, quel miracle que ce lâcher de fauves !... Ils gesticulaient, ils trépignaient déjà, hirsutes, déglingués, bouffons de foire affublés de misère. Ils voulaient tous être les premiers, les premiers à suivre le corbillard jusqu'à la tombe, les premiers à pleurer, à participer à la fête. Et quelle fête ! Au vrai, nous vivions une pagaille innommable dont nous étions davantage les témoins que les acteurs : parce que Daniel ne nous appartenait plus; parce qu'il était à eux et le serait pour l'éternité; parce qu'il avait été leur camarade, sinon leur guide. »

Une éducatrice qui accompagne le groupe et qui s’est beaucoup occupée de Daniel prend contact avec Gérard et lui présente le directeur du centre.
L’auteur, qui a déjà décidé d’écrire un livre consacré à son frère, d’être « le biographe de Daniel », prend rendez-vous pour visiter la structure, rencontrer le personnel et les pensionnaires.

C’est dans cette deuxième partie du livre que l’auteur va raconter la vie de son frère, ce qu’il en connaît, de la petite enfance à 1968, cette année où ils se voient pour la dernière fois, où Gérard part à l’armée et Daniel à l’hôpital psychiatrique.

L’auteur a apporté des photos jalonnant leurs années de vie commune, photos de vacances, alternance de bons et de mauvais souvenirs, de moments de complicité, de tendresse mais aussi d’irritation, d’incompréhension.
Gérard explique à l’équipe du centre le parcours du combattant pour scolariser Daniel, ses difficultés d’élocution, son échec face à la lecture, le test qui fixe son QI à 49, l’impossibilité de trouver dans les années 50 une structure adaptée. Pendant quatre ans, heureusement, il y a l’établissement que dirige Jean Sauvestre qui dispose d’une classe pour handicapés mentaux. Sinon, Daniel reste à la maison, s’ennuie et comprend mal que Gérard s’applique à ses leçons et devoirs au lieu de jouer avec lui. Daniel ne supporte aucune contrariété. Ni la moindre remarque de son père ou de sa mère. « Car si Daniel nous protège, s'il nous adore, et il nous adore, il nous commande aussi, il nous gouverne. Comme si nous étions ses sujets. "C'est moi le chef", oppose-t-il à qui de nous tente de lui résister. Le résultat en est inévitable, lorsque nous sommes réunis, le soir et pendant les week-ends, une tension permanente s'installe. »
 
De photo en photo, Gérard raconte, explique, les hauts et les bas de ce parcours chaotique, de cette cohabitation parfois insupportable, jusqu’aux événements qui ont provoqué l’internement de Daniel, à l’âge de vingt-trois ans, dans un hôpital psychiatrique dont il ne sortira qu’au bout de treize ans.
En échange, Gérard découvre la vie de son frère pendant ses trois dernières années dans une structure accueillante et bienveillante.

C’est un texte fort et émouvant, courageux et sincère. Les propos sont parfois durs, à la mesure des souffrances endurées, mais ils sont francs, et beaucoup de familles reconnaîtront les émotions qu’ils ressentent sans toujours les admettre et oser les exprimer, cette sensation d’aimer et détester à la fois, d’aimer et craindre celui qui devient, sans le vouloir, un tyran de plus en plus fort et violent.
L’auteur a écrit ce livre dans les années 90 mais il n’a pu être édité à l’époque en raison de malheureux concours de circonstances qui nous sont rappelés dans l’avant-propos. C’est donc trente-six ans après sa mort que « Daniel peut enfin renaître à la lumière du jour ».

Serge Cabrol 
(22/10/20)    



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Ramsay

(Octobre 2020)
200 pages - 19 €













Gérard Glatt, né en 1944, se consacre maintenant entièrement à l'écriture. Il a publié deux recueils de contes basques et signe ici son douzième roman.


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