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Ceci n'est pas un roman d'amour. Ni un roman. Se nouer et s'aimer se décline souvent à l'aune de la confusion
des sentiments, avec l'ambiguïté, la peur, les fantasmes, les souvenirs,
le sentiment de trahison et au quotidien dans sa banalité. Il n'y a pas
d'amour, il n'y a que des moments d'amour où on s'abandonne et on est
abandonné. C'est à une exploration, par une succession de séquences qui
tentent de saisir la substance, l'alchimie, même, de l'amour dans toutes
ses composantes, la façon dont il prend racine ou se délite, que
l'auteur nous convie. Non sans humour souvent. Tout y est à fleur de peau, de corps et comme toujours chez Emmanuelle
Pagano, rien n'est ici tabou, masqué ou inatteignable par les mots. Le
sexe s'y impose vivant mais sans trivialité ou provocation. Simplement.
Les corps y transpirent, vrais, agités de pulsions et de désirs,
atteints de disgrâces parfois, ou flétris par l'âge mais
toujours dotés de leur propre langage. Contre le pouvoir de l'attraction des corps, ou leur déprise, que pouvons-nous
? Face à la timidité et la maladresse des premiers gestes, au
poids de l'habitude qui pèse sur ceux qui fréquentent le même
lit chaque nuit depuis des années, à la culpabilité d'un
nouvel amour ou la honte d'exposer un corps vieillissant, quelle est la marge
du possible qui subsiste ? Emmanuelle Pagano mêle les discours amoureux pour nous offrir un patchwork intimiste dont le thème central est le lien qui unit les corps et les curs. C'est à une vraie traque des émotions qu'elle se livre, orchestrant toutes ces banalités murmurées sur le ton de la confidence en une polyphonie qui recense les élans de tendresse ou l'éblouissement, le désir, les rituels et les fétichismes dérisoires ou inavouables qui servent de béquille, la routine et l'ennui qui s'installent, l'émergence de l'agacement ou de la frustration et la distance qui s'esquisse. C'est avec sensualité mais aussi en véritable entomologiste qu'Emmanuelle
Pagano se penche sur les traces de l'amour, auscultant le corps dans toute sa
familiarité (grains de peau, poils, plis, cicatrice), dans son altérité,
son étrangeté et sa dégradation. Avec impudeur ou délicatesse,
s'attachant à un détail d'apparence insignifiante, à une
voix, un geste, une odeur, c'est de sexualité, complexée, fantasmée
ou débridée, qu'elle nous parle. On retrouve ce goût de la précision et du détail contrebalancé par une écriture poétique et charnelle, dans les descriptions périphériques que l'auteur fait de la nature, avec ses arbres dont le frémissement des feuilles et la circulation de la sève deviennent presque perceptibles à ces personnages qui tentent, en arpentant à grands pas l'espace public extérieur, d'évacuer leur tristesse ou leur colère ou, au contraire, de se réconcilier avec eux-mêmes. Et dans cet inventaire à la Prévert des sentiments amoureux émaillés
d'objets hétéroclites (aspirateur, livre, papier d'emballage,
canne-à-pêche, écharpes, pansements, émeraude, fusil
de chasse...), Emmanuelle Pagano, en quelques lignes ou quelques pages, sait
aller à l'essentiel et faire sens. Chaque texte contient son histoire, esquisse un monde, et on peut ouvrir le livre au hasard pour y picorer ou en assurer une lecture continue, dans tous les cas, l'ensemble se tient et le lecteur se laisse piéger par cette voix qui lui parle à l'oreille. Il s'émeut, compare, approuve, sourit, s'agace ou rit franchement et finit par s'immiscer dans ce "je" jusqu'à se confondre avec lui. A l'aide d'une musique qui de livre en livre se confirme, Emmanuelle Pagano nous offre ici un petit bijou, simplement, profondément, juste et émouvant. Dominique Baillon-Lalande (18/11/13) |
Sommaire Lectures Editions P.O.L. (Octobre 2013) 208 pages - 16 €
Pour visiter le blog de l'auteur : emmanuellepagano. wordpress.com/ Découvrir sur notre site : Un renard à mains nues (P.O.L., 2012) Les mains gamines (P.O.L., 2008) Les Adolescents troglodytes (P.O.L., 2007) Le tiroir à cheveux (P.O.L., 2006) Pas devant les gens (La martinière, 2004) |
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