Nous retrouvons, avec toujours autant de plaisir, Hardouin Cadet-Venelle, bourreau de Mortagne, dont nous avons déjà suivi les enquêtes dans les deux premiers volumes de la série. L'intrépide (et impitoyable) justicier est confronté ici à deux affaires parallèles et distinctes. D'une part il n'a pas encore réussi à découvrir toute la vérité sur le rôle de la jolie Mahaut de Vigondin dans l'empoisonnement de son beau-père, de son mari (qui en sont morts) et de son fils qui en a réchappé de justesse. D'autre part, la disparition mystérieuse de jeunes enfants commence à affoler la région. Le bourreau doit trouver au plus vite qui les enlève et dans quel but, pour quel trafic.

La situation politique locale a changé avec l'arrivée d'un nouveau bailli à Nogent-le-Rotrou, Louis d'Avre, qui va devoir apprendre à connaître l'incontournable bourreau. Le rapprochement entre les deux hommes donne lieu à des pages pleines de subtilité et d'humour. Ils vont finalement fort bien s'entendre et travailler ensemble pour résoudre les affaires délicates et faire régner, autant que possible, la justice sur le territoire dont ils ont la charge.

En ce qui concerne Mahaut de Vigonrin qui a été emprisonnée dans le tome précédent (En ce sang versé), Cadet-Venelle continue à croire en son innocence mais ne parvient pas à la prouver. C'est le recours à la science qui va se révéler décisif pour la découverte de la vérité. Le docteur Méchaud, médecin de village, affirme que les symptômes ressentis par les deux hommes assassinés ne correspondent pas aux effets de la poudre de plomb retrouvée dans le psautier de l'accusée. Maintenant, quant à comprendre ce qui peut avoir provoqué ces décès, Méchaud se déclare incompétent et demande à consulter Jehan Fauvel, un de ses confrères que l'on a déjà rencontré dans une autre série du même auteur, Les mystères de Druon de Brévaux.
Cadet-Venelle se lance donc à la recherche de Fauvel et la vérité jaillira de l'esprit du savant, nous rappelant qu'il faut se méfier des champignons mais aussi, parfois, des lapins…

En ce qui concerne les disparitions d'enfants, l'enquête va se révéler plus difficile. Les "tours d'abandon", des petites niches creusées dans le mur des églises et fermées par un panneau de bois, permettent aux mères de déposer le bébé qu'elles veulent abandonner en espérant qu'il sera trouvé vivant quand le prêtre ou les religieuses feront leur tournée de ramassage. Dans ses petites notes en bas de pages (toujours aussi précieuses, qu'elles précisent un point d'histoire ou de vocabulaire), l'auteur ajoute : Ces tours d'abandon, que l'on revoit aujourd'hui sous des formes plus modernes, se sont répandus en Europe du XIIe au XIXe siècle. Le pape Innocent III (1160-1216, élu pape en 1198) les fit installer en Italie pour enrayer les innombrables infanticides. Saint Vincent de Paul les généralisa à Paris, en 1638, pour les mêmes raisons.
Or, il arrive ici qu'une femme regrettant sa décision revienne sur ses pas pour reprendre son bébé dans le tour d'abandon et ne le retrouve pas. Disparu. Enlevé…
Une nourrice est assassinée lorsque sa maîtresse revient de son accouchement, une femme est agressée en rentrant de ses courses et son bébé lui est arraché, six enfants attachés l'un à l'autre sont retrouvés noyés dans un putel (fosse septique à ciel ouvert)…
Les événements liés à la disparition de bébés ou de jeunes enfants se multiplient dans la région. Il faut absolument comprendre ce qui se passe et y mettre fin.

D'autre part le nouveau bailli est surpris de recevoir un courrier de Charles de Valois, le frère du roi Philippe le Bel, lui demandant de tout faire pour retrouver l'enfant enlevé à un certain Eustache de Malegneux. Qui est donc ce Malegneux dont on se préoccupe en si haut lieu ? Louis d'Avre consulte aussitôt son bourreau qui va l'aider à résoudre cette épouvantable affaire et découvrir quel sort était réservé à ces enfants enlevés…

Encore une fois, Andrea H. Japp nous embarque dans une histoire à tiroirs multiples, où les diverses enquêtes sont toujours liées d'une manière ou d'une autre et résolues au triple galop (grâce à son magnifique étalon noir, le valeureux Fringant) par le perspicace et convaincant bourreau. Difficile de ne pas lui répondre quand il commence à poser des questions parce qu'il connaît la nature humaine et les arguments propres à faire jaillir confidences et aveux y compris des plus récalcitrants. Le roman est vif, mené tambour battant par l'alternance de chapitres courts qui nous emmènent sans cesse de lieu en lieu et d'un personnage à l'autre, les enquêtes se chevauchant comme les couches d'un millefeuille qu'on dévore avec un plaisir toujours renouvelé. A déguster avec gourmandise et sans modération.

Serge Cabrol 
(19/06/14)