Au début de cette nouvelle aventure, le chien de Gilles, Othello, est en fin de vie et il doit le conduire chez le vétérinaire pour la piqûre létale. Ce n’est pas le seul drame de sa vie car son fils est en prison pour un double meurtre. Son moral est au plus bas et, pour lui changer un peu les idées,  Olivier lui propose de l’accompagner dans une croisière en Norvège. « Songez un peu aux fjords, à la banquise, aux montagnes de glace tombant dans la mer ! »

Mais Olivier n’est pas en grande forme non plus. Les oraux du CAPES l’ont épuisé et il a par moment des crises d’angoisse et des moments d’absence qui l’inquiètent. « J’accomplis des séquences de gestes automatiques qui ne s’inscrivent pas dans ma mémoire. » Le médecin s’est montré rassurant : « Les troubles que vous me décrivez n’ont strictement rien à voir avec une quelconque aliénation mentale. J’y vois seulement les signes d’une fatigue extrême, que votre anxiété habituelle a dramatisés démesurément. »

Une croisière dans le Grand Nord devrait leur faire le plus grand bien, à tous les deux, en les éloignant de leurs soucis du moment.

Malheureusement la belle aventure va tourner au cauchemar dès la première escale. À Bergen, après une visite du port, une excursion en autocar est organisée pour découvrir Trolghauden, « la demeure où Grieg passa une grande partie de sa vie et composa nombre de ses œuvres ». Un enfant faisant partie de leur groupe de touristes est retrouvé noyé dans le lac, à proximité de la maison de Grieg.

C’est déjà un drame en soi mais, quand d’autres enfants sont victimes de mort « accidentelle » pendant le même voyage, on pense plutôt à une série criminelle...

La croisière prend des allures de roman d’Agatha Christie et nous nous interrogeons sur la possible culpabilité de certains passagers. Francis, par exemple, qui dès le premier jour s’est déclaré « pédophobe », détestant les enfants mal élevés. Évidemment, c’était de l’humour mais qui cachait peut-être un fond de vérité. Et Irène, médecin pédiatre, ne semble pas d’un équilibre à toute épreuve. Le soupçon pèse sur plusieurs passagers et pourquoi pas sur Olivier lui-même, incapable de dire ce qu’il fait pendant ses périodes d’absence mentale…

L’auteur creuse le vécu de ses personnages, le présent comme le passé, et nous présente une galerie de portraits dont plusieurs pourraient bien se révéler moins innocents qu’ils ne le paraissent.

Les descriptions de la nature sauvage sont toujours somptueuses, comme dans tous les livres de Sylvie Huguet. « Ici, plus un bruit d'origine humaine ne venait troubler le concert primitif du vent, des vagues et des cris d'oiseaux. Le ciel, la glace, la mer qu'argentait le soleil sur son déclin, tout semblait pris dans la transparence bleutée du gel. De petits icebergs flottaient sur l'eau, où des phoques reposaient comme des chats paresseux. J'essayai de me glisser en eux en m'absentant de moi-même, tentant de sentir à leur place la fraîcheur de la glace et le clapotis de l'eau. Ma rêverie dérivait, m'entraînait vers les grands fonds marins parcourus par les baleines. Je me dispersais avec l'écume de leur sillage qu'irisaient de fuyants arcs-en-ciel. »

C’est à une inquiétante croisière que nous convie l’auteur, aussi séduisante et dangereuse qu’une fleur de digitale ou une amanite phalloïde. Embarquement immédiat, émotions garanties. Un voyage au plus sombre des passions humaines.

Serge Cabrol 
(14/12/15)