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Philippe GEORGET


Méfaits d'hiver



À peine avons-nous lu le titre que nous reconnaissons le trait d’humour, le goût des jeux de mots de Philippe Georget. Que ce soit par le truchement de son personnage principal ou de ses acolytes. Mais surtout, nous anticipons notre plaisir à retrouver le lieutenant Gilles Sebag, policier intuitif et malin, de même que la ville de Perpignan et les environs que la couleur du ciel et l’humeur de notre héros dessinent si bien dans ses reliefs et ses courbes. Entre mer et montagne.
Impatients que nous sommes d’aller à leur rencontre !
« Depuis sept années qu’il vivait ici, immigré volontaire, il avait appris à apprécier l’âme et le cœur de ce pays catalan, chaleureux et fier, forgé par les frontières et l’exil, sculpté par les câlineries du soleil et les affronts du vent. »

Mais cette fois le lieutenant, mari fidèle et père attentionné, est en proie à un doute affreux : il soupçonne sa femme d’avoir une aventure. Et lorsqu’il découvre, un peu par hasard, un message sur le portable de celle-ci – « Il sentit comme une déchirure dans son ventre, une fissure dans sa vie. » –, il lui demande  des explications. Claire lui avoue : « J’en ai eu envie, j’en ai eu besoin. C’est une histoire d’amitié qui est allée trop loin. » Pour lui affirmer ensuite que tout était terminé avec ce collègue et que son amour pour lui n’a pas été en cause.

Lorsque le commissariat essaie de le joindre, Sebag, encore sous le choc, ne répond pas, il est parti sur les hauteurs de la ville, « à cinq cent douze mètres au-dessus de la mer et des hommes » pour respirer et réfléchir. Mais à son retour il apprend qu’il y a eu un crime, un "drame de la jalousie" comme pourront titrer les journaux. En effet, un mari a abattu sa femme, à bout portant, dans la chambre d’hôtel où elle retrouvait son amant.

Sebag semble indifférent, détaché, sa curiosité comme sa sagacité semblent éteintes. Sa propre souffrance le promène de la révolte à la colère, et tout en croyant pouvoir résister avec l’aide de l’alcool, il laisse faire ses collègues, dont un, en particulier, assez jaloux de la réputation de Sebag, va en profiter pour faire cavalier seul. Heureusement son fidèle coéquipier reste vigilant.

Parenthèse destinée aux lecteurs : l’existence d’un commentateur en coulisses :
« Le crime parfait. Enfin ! Son plan avait fonctionné. Depuis son poste d‘observation, il avait tout suivi, mieux qu’à la télé. L’arrivée du couple, le départ de l’homme puis l’entrée et la sortie du mari, enfin l’arrivée des secours inutiles et celle des policiers. »
Les quelques ponctuations, bien sibyllines de ce personnage, nous intriguent : qui est donc ce "The Eye" ? Nous le saurons seulementà la fin : suspense oblige !
 
Cependant Gilles Sebag, entre ses moments de déprime, ses insomnies et ses recours à l’alcool, tient bon, et va retrouver progressivement ses vieux réflexes de limier. Les discussions avec sa femme continuent. Les sentiments modifient leur tonalité, bousculent  et mettent à l’épreuve cet amour de longue date…

 Dans ces pages, Philippe Georget, aborde par l’intermédiaire de Sebag une réflexion profonde sur le sentiment amoureux, sur les contradictions qui peuvent naitre d’un confort ou d’une sécurité conjugale. Il décortique ici ce qui peut se glisser entre les êtres pour semer doutes ou illusions, et ces propos et dialogues d’un réalisme convaincant sont ici un contre-point aux réactions violentes des criminels confrontés à des problèmes similaires. Habile croisement.

Le coupable arrêté, l’affaire semble close. Reste un arrière-gout confus. Intuition ? Car la folie meurtrière va continuer : un individu se suicide en se jetant du haut de son immeuble, et l’on découvre, là-aussi, un mari trompé par sa femme. L’enquête ne semble pas receler davantage de mystère que la précédente… mais quelque temps plus tard, un autre homme séquestre sa femme et menace de faire sauter tout le quartier avec eux… Et c’est là que notre lieutenant retrouve son instinct, et le courage de discuter avec "le forcené". Il va même utiliser ce qu’il est en train de vivre pour convaincre l’homme. « Il sourit intérieurement. Il ne se reconnaissait plus. Lui d’ordinaire si secret parlait de lui à des inconnus. Et ça lui faisait du bien. Et il n’en avait pas honte. Ce n’était pas seulement l’effet de l’alcool et des vapeurs d’essence. Ce n’était pas seulement parce qu’il essayait d’éviter un drame. »

Pendant ce temps-là, son collègue relève quelques points qui l’intriguent. « Deux amis, l’un victime, l’autre auteur, à quelques jours d’intervalle seulement, d’un drame conjugal ayant pour origine la trahison de leurs épouses. Et l’un de ces types au moins avait tout appris par une dénonciation anonyme. » Coïncidence ?

Philippe Georget nous livre là un roman sensible, où la psychologie des personnages est soutenue, les actes analysés, où il nous propose un regard personnel sur ces histoires d’amour ou de haine, la plupart du temps simplifiées au bénéfice du suspense. Mais   justement cet auteur sait raconter l’intelligence des personnages, et nous parle de leur humanité, celle qui peut parfois dégraisser les impulsions les plus sombres.

L’humour est là aussi, par petites touches et pas seulement dans le titre. Et si le thème, sérieux, s’articule parfois avec le dérisoire, les remarques caustiques démontent les constructions vengeresses. L’enchevêtrement est astucieux, le "dénouement" des différents fils, ici bien intriqués, devient savoureux.
Un vrai roman. Un vrai suspense. Un vrai plaisir.
« On n’était pourtant qu’à la mi-janvier et il faudrait attendre encore avant de voir s’épanouir dans le bleu du ciel les flocons de soleil du mimosa puis les pépites de neige de l’amandier. »
Après les méfaits de cet hiver ! 

Anne-Marie Boisson 
(07/11/15)    



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Noir & polar









Editions Jigal
(Septembre 2015)
352 pages - 19,50 €





Philippe Georget,

né en 1963, journaliste, travaille d'abord pour Radio France et Le Guide du Routard avant de se lancer dans la télévision régionale. En 2001, il embarque femme et enfants dans son camping-car et fait le tour de la Méditerranée. À son retour, il pose ses valises dans les environs de Perpignan. Et c'est là, en pays catalan, qu'il situe la plupart des intrigues de ses romans qui ont été récompensés par de nombreux prix littéraires




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