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Philippe GEORGET


Les violents de l'automne



On est à Perpignan, les vacances sont finies et le jeune lieutenant Gilles Sebag doit reprendre le chemin du boulot. C'est un homme honnête, habitué à détourner les proverbes, maximes et autres aphorismes, un flic compétént apprécié de son équipe. Sa vie privée est assez harmonieuse : bien qu'inquiet par moment quant à la fidélité de celle-ci, il reste amoureux de sa femme Claire et entretient de bonnes relation avec son fils et son adolescente de fille. Celle-ci, lors de l'enterrement du frère de sa meilleure amie décédé dans 'un accident de scooter, sollicite même son aide pour vérifier les circonstances du drame. A défaut de témoin, l'affaire a été classée sans suite alors que l'automobiliste alcoolique responsable du choc affirme qu'un véhicule blanc brûlant un stop l'aurait obligé à dévier sa trajectoire.

Dans le même temps, un petit vieux sans histoire d'origine pied-noir a été retrouvé bâillonné, menotté, assassiné d'une balle dans la nuque avec un "OAS" inscrit à la peinture noire sur les lieux du crime. Sebag, qui doit alors expliquer au jeune inspecteur Lambert que le sigle OAS signifie Organisation Armée Secrète et fait référence aux militaires rebelles qui se battirent jusqu'au bout, essaimant attentats et meurtres de 1961 à 1962, pour conserver l'Algérie française, est chargé de l'enquête.

Cette affaire délicate va requérir pour l'heure toute son attention mais il gardera quand-même à cœur de répondre aux attentes de sa cadette.

L'enquête "Martinez" sera pour lui et ses gars l'occasion de plonger ou replonger dans le bourbier des dernières années de la guerre d'Algérie. Ce crime aurait toute l'apparence d'une vengeance mais le meurtre d'un autre ancien de l'OAS abattu par la même arme qui a tué la première victime, des noms effacés sur un monument commémoratif de la guerre d'Algérie au cimetière, inquiètent le préfet qui craint que la ville où demeurent de nombreux pieds-noirs soit atteinte d'un retour de fièvre...
Ne reste donc à Sebag, à Molina son bras droit et ami, et à son équipe, qu'à pénétrer avec diplomatie l'univers des associations des pieds-noirs locaux pour tenter de comprendre les forces en présence et trouver une piste au plus vite. Les haines et rancunes se révèlent encore vivaces et pourraient expliquer bien des choses. L'inspecteur va devoir faire appel à cette intuition qui force l'admiration de son adjoint pour, à partir d'un minutieux travail de recherche, d'une vieille photo, de témoignages croisés, dénouer les fils de cette histoire complexe.

On est ici devant une histoire de vengeance, narrée sous la forme classique de l'enquête policière respectueuse des codes établis, avec ses indices, ses fausses pistes, sa progression vers le dénouement qui révélera le nom du coupable.
Mais celle-ci trouve sa singularité dans le contexte historique dans laquelle elle s'inscrit. À travers les propos de l'étrange Albouker, président de l'association pied-noir interrogée par Sebag, ou ceux de son jeune trésorier, l'auteur évoque ces "exilés", leurs traditions, la nostalgie, la solidarité, la douleur encore vive du départ vers la métropole, le sentiment de trahison et les blessures encore ouvertes, qui les réunissent mais aussi les divergences politiques qui les animent. Il dépeint aussi les heures sombres et terribles de l'OAS avec ses meurtres sanglants et aveugles, et, plus tard, la fuite des principaux chefs de l'organisation vers des pays idéologiquement proches. L'ombre du sinistre lieutenant Degueldre et les souvenirs d'attentats livrés tels quels avec toute leur violence sous-jacente, planent sur le roman, recréant pour le lecteur le contexte et l'état d'esprit de l'époque.
C'est une version intime de la guerre d'Algérie, une vision de l'intérieur, en passant la parole à ceux qui ont vécu dans leur chair la douleur de l'abandon et côtoyé les violences du FLN et de l'OAS, qui nous est livrée ici, sans parti pris car "en période de guerre, les repères et les valeurs ne sont plus les mêmes qu'en temps de paix. Quant tout est calme, c'est facile d'avoir des idées généreuses et de grands principes moraux. En période de guerre, c'est une toute autre affaire…"

Différents types de personnages gravitent dans ce récit. D'un côté il y a des pieds-noirs, tour à tour idéalistes, opportunistes, nostalgiques d'un paradis perdu, entretenant leur statut de victime pour se sentir vivant ou brisés à jamais et rêvant de vengeance, et, face à eux, Sebag et ses acolytes envisageant tout cela avec une distance professionnelle et pour la plupart générationnelle. Tous sont crédibles, justes et bien campés.
Mais la Catalogne est incontestablement l'autre personnage de cette histoire, avec sa géographie et sa culture et l'on perçoit dans l'ensemble du récit, l'attachement de Philippe Georget pour sa région.

Le style fluide, à base d'images et de dialogues réalistes, est efficace même si le roman aurait peut-être gagné à être un peu condensé. L'intrigue – ou plus justement les deux intrigues qui s'imbriquent – est bien menée, la documentation sérieuse, le récit animé d'un humour potache agréable et d'une humanité forte, incarnée par le protagoniste principal, attachant, conjuguant avec un certain bonheur le flic et l'homme.
Une page d'histoire racontée de façon plaisante qui sait tenir son lecteur en haleine et le faire réfléchir.

Dominique Baillon-Lalande 
(03/08/12)    



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Noir & polar










Editions Jigal
344 pages - 18,50 €






Philippe Georget,

né en 1963, participe à 20 ans à la construction d'une école au Nicaragua. De retour en France, il reprend des études qui le conduisent à une licence d'histoire puis une maîtrise de journalisme. Il travaille d'abord pour Radio France et Le Guide du Routard avant de se lancer dans la télévision régionale. En 2001, il embarque femme et enfants dans son camping-car et fait le tour de la Méditerranée. À son retour, il pose ses valises dans les environs de Perpignan. Et c'est là, en pays catalan, qu'il situe la plupart des intrigues de ses romans. Il a reçu le Prix du Premier Roman Policier et le Prix SNCF du Polar pour L'été tous les chats s'ennuient (Jigal, 2009) et le Prix Coup de foudre des Vendanges littéraires 2011 pour Le paradoxe du cerf-volant (Jigal 2011).







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