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Maurice GOUIRAN
Se situant résolument parmi les auteurs dont les polars rappellent et exhument
les pages les plus noires de l'Histoire, Maurice Gouiran, dans ce roman qui se
déroule à Marseille, nous ramène au temps des guerres d'Indochine
et d'Algérie ou en Argentine sous la dictature militaire au fil des découvertes
d'une enquêtrice très déterminée.
Tout commence avec l'assassinat du colonel Vincent de Moulerin, conseiller
municipal depuis une vingtaine d'années, qui vient d'être abattu
de quatre balles de 11.43 dans un parking souterrain. A quelques mètres
de là, une Mégane Renault présente une portière
avant gauche grossièrement fracturée au pied de biche. Pour le
commissaire Arnal, l'affaire est claire : le colonel a surpris des voleurs de
voiture en plein travail et ils l'ont éliminé. Voilà qui est simple et permet de ressasser le couplet sur la violence
dans la cité phocéenne, la montée de la délinquance,
la guerre des gangs, et tout, et tout
Mais l'enquêtrice n'est pas convaincue par la thèse officielle.
Trois balles dans le thorax et une dans la nuque, c'est beaucoup pour des voleurs
de voitures, surtout des voleurs assez nuls pour défoncer la portière
d'une Mégane au lieu de tirer en souplesse une BMW ou un 4x4. Non, il
y a là quelque chose qui cloche
Et puis la personnalité du colonel l'intéresse. Emma Govgaline
est un peu comme la Nadia Lintz de Thierry Jonquet, la juge de Boulevard du
Palais créée en 1993 dans le roman Les orpailleurs. Le poids du
passé du père alourdit leur présent. L'adjudant-chef
Michaël Govgaline avait reçu le baptême du feu en Algérie.
Pendant cinq ans, son job avait été de repérer et d'arrêter
les fellouzes, de sécuriser de vastes zones et de neutraliser de nombreux
réseaux rebelles. Plus tard, à Marseille, une fois à
la retraite, on l'avait retrouvé pendu dans son garage, comme un pantin
désarticulé. Il avait quitté sa famille. Il l'avait quittée,
elle, sa fille, sans un mot, sans une explication. Depuis, Emma s'attachait
fébrilement à chacune des enquêtes qui lui étaient
confiées comme si ses conclusions lui permettraient de déchiffrer
le message que son père ne lui avait jamais envoyé. En furetant
dans le passé de Vincent de Moulerin, en s'évertuant à
cerner la personnalité de l'ancien colonel, Emma ne cherchait-elle pas
à découvrir, à redessiner le vrai visage de son père
? Pour aller vite, pour trouver des pistes et des contacts, elle s'adresse à
Clovis Narigou, un journaliste qu'elle connaît bien, qui ne la laisse
pas indifférente et qui, en outre, dispose d'un carnet d'adresses volumineux
Il est aux États-Unis mais le portable abolit les distances et, malgré
le décalage horaire, il lui donne les informations nécessaires
pour apprendre des choses très intéressantes. Mais elle n'est pas la seule à enquêter sur Vincent de Moulerin,
même si les objectifs et la méthode sont très différents.
Kevin, le petit-fils du défunt colonel, quatorze ans, s'est retranché
de la vie réelle pour vivre dans sa chambre, suivant des cours pas correspondance
et passant tout son temps scotché à son ordinateur. Il vit des
aventures virtuelles sur Second Life mais l'argent qu'il y gagne est
transformable en euros bien réels. Grâce à des logiciels
de morphing et à sa virtuosité sur les moteurs de recherche, il
parvient à des révélations stupéfiantes sur son
père et son grand-père
Entre l'enquête réelle d'Emma et l'enquête virtuelle de
Kévin, nous en apprenons beaucoup sur ces anciens soldats des guerres
coloniales, passés par l'OAS, jugés en 62, et recyclés
dans la formation des militaires en Argentine ou ailleurs. Les données
sont précises, le dossier est très travaillé, constituant,
au-delà d'un roman agréable à lire, un document passionnant
sur une page peu connue et peu glorieuse de la politique internationale, notamment
au moment de la coupe du monde de football de 1978 en Argentine. Qui a tué le colonel de Moulerin et pourquoi ? Il vous faudra lire le
roman pour le savoir. Contre l'avis de sa hiérarchie, Emma Govgaline
a mené son enquête jusqu'au bout et elle mérite bien un
peu de plaisir dans les bras de Clovis revenu des États-Unis. Nous la
quittons sur la pointe des pieds en attendant déjà la prochaine
enquête
Serge Cabrol |
Sommaire Noir & polar Editions Jigal 272 pages - 18 €
Découvrir sur notre site un autre polar paru chez le même éditeur : André Fortin Requiem pour le juge |
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