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Philippe GEORGET


Tendre comme les pierres



Dans son quatrième polar, Philippe Georget nous emmène dans le désert, en Jordanie, à Wadi Musa, près du site de Pétra. Des fouilles sont en cours, une équipe d'archéologues français travaille sous la direction d'un vieux professeur. Un journaliste, ancien grand reporter, quelque peu désabusé, retourne, pour la première fois depuis dix ans, au Proche-Orient, afin de réaliser un documentaire sur le chantier des fouilles, reportage demandé par une chaîne de télévision.

Taillé dans l'épaule d'une montagne de grès jaune, le tombeau du Deir s'extirpait avec génie de la matière brute. La pureté de ses formes géométriques contrastait avec la masse incohérente de la falaise sur laquelle la pierre avait coulé comme de la cire. Ce décor arraché il y a deux mille ans à la nature par les hommes s'étalait sur cinquante mètres de large et presque autant de hauteur.[…]
J'avançais d'un pas lent et respectueux sur l'esplanade naturelle.

Mais lorsqu'il se présente sur le site, le journaliste Lionel Terras apprend qu'il ne verra pas le professeur : Surpris par la police le matin même avec un jeune garçon dans son lit, le responsable du laboratoire d'études sémitiques anciennes du CNRS, Rodolphe Moreau, archéologue réputé, avait été arrêté et transféré immédiatement au siège de la police à Maan, capitale du gouvernorat dont Wadi Musa et Pétra dépendaient.On apprendra plus tard que des documents ont disparu.

Commence alors une enquête menée par la police locale, bientôt renforcée par un policier français. En même temps que les propres initiatives et les recherches de notre journaliste. Ce dernier intrigué et curieux ne peut pas se satisfaire du peu d'éléments trouvés, ou cachés, ni de l'attitude de certains enquêteurs.

Il a bien sûr très vite rencontré les principaux protagonistes qui travaillent sur le chantier des fouilles : Nacer Ousman, un jeune Arabe, professeur d'histoire à l'université, et Mélanie Charles, archéologue française, assistante du professeur. Elle va rapidement renseigner Lionel Terras : Les nabatéens étaient un peuple nomade du désert arabique, ils se sont implantés ici au VIème siècle avant Jésus-Christ. Mais on considère que l'âge d'or de Pétra commence sous le règne du roi Arétas IV, à peu près à l'époque du Christ. Après avoir été influencés par les Egyptiens et les Grecs, les nabatéens s'imprégnèrent de la culture romaine : Rome en 106 de notre ère annexa la cité qui deviendra la capitale de sa province de "Palestine Troisième".

Il nous a fallu à peine quelques pages pour comprendre que nous allions nous passionner pour cette aventure. Dès les premiers rebondissements de l'enquête - il s'agit en effet de comprendre les raisons de l'emprisonnement du professeur - nous nous demandons quel en est le véritable enjeu et ce qu'elle pourrait sous-tendre. Des indices à peine formulés, nous en laissant peut-être supposer l'importance.

Une relation va se nouer entre Mélanie Charles, jeune femme indépendante et enthousiaste et Lionel Terras. Elle sera à la fois simple et complexe, avec la liberté en filigrane. Je la retrouvai dans notre cabane de toile […] Elle s'était enveloppée dans le drap blanc comme dans un suaire. Le linceul moulait ses formes à réveiller tout un cimetière d'eunuques et les yeux de cette momie sensuelle brillaient de mille promesses ardentes […] Le rituel qui suivit n'eut rien de funèbre et le plus difficile fut de contenir dans la limite de la décence les râles de nos agonies. Une association joyeuse, franche et pleine d'humour.
Au fil de l'aventure nous allons rencontrer beaucoup de personnages, secondaires ou non, mais dont la personnalité viendra enrichir les chapitres et nous fera réfléchir quant aux éléments qu'ils apportent, qu'ils soient pertinents ou non pour l'intrigue.

Certains de ces personnages, de même que les mœurs et les coutumes des bédouins par exemple, attisent notre intérêt, mais le personnage central, peut-être le plus énigmatique, c'est certainement le désert. Ses paysages somptueux, ses couleurs changeantes et variées, ses moments de grâce viennent renforcer à chaque instant notre plaisir.

L'intrigue policière se développe quelque peu, les fausses et vraies pistes se construisent, s'interprètent et se contredisent. On pressent tout au long du roman que la recherche de la vérité évènementielle ne sera peut-être pas la plus importante. Pourrait-il s'agir d'une découverte qui bousculerait la vie de certains hommes, voire celle du désert ?

Le talent de Philippe Georget est là qui nous emmène aux confins de cette aventure où se mêlent aux vieux mythes, l'origine de civilisations, l'histoire et l'évolution de certains peuples. Avec cette quête de la vérité, nous inviterait-il aussi à déceler, à l'occasion, la part de légende dans les interprétations d'une réalité, peut-être tout simplement économique ?

Nous continuons à cheminer sous cette lumière propice, avec les doutes et les enthousiasmes de notre journaliste volontaire, sur une piste nous emmène alors rejoindre celle de Lawrence d'Arabie. Car nous sommes en pleine aventure, et comme lui à la recherche de Sharat Aquem, cette cité fantasmée ou réelle ?

Roman dense, complexe à l'intrigue sinueuse, construit en cinq grandes parties comprenant chacune plusieurs chapitres avec, comme en exergue, une phrase d'un poète ou d'un philosophe arabe nous laissant méditer à son propos et sur la nature de sa relation avec le contenu du chapitre…
Par exemple : "Les hommes sont comme le temps : moitié lumière, moitié ténèbres." Aboul'Ala Al-Maari, philosophe arabe (973-1057)
Ou bien : "Donne un cheval à celui qui dit la vérité, il en aura besoin pour s'enfuir."

Et ce qu'on a pu remarquer dès le début du roman : à travers les descriptions du narrateur, l'écriture s'épanouit dans la peinture de ces paysages grandioses
La montagne s'ouvrait pour nous et, entre les parois prodigieuses, ne montaient plus que des murmures admiratifs. Le ciel, cent mètres au-dessus de nos têtes dressées, se réduisait à une simple lézarde. Né d'une faille provoquée par un séisme, le Siq avait été poli, crue après crue, par les eaux du wadi.

Il y a donc cette façon qu'a Philippe Georget de nous peindre les lieux, de les "exposer" à notre regard comme si nous devions l'accompagner (si ce n'était déjà fait !) dans l'exploration de ce désert, et qui est particulièrement habile. Ensuite en semant çà et là, réflexions et commentaires pleins de sensibilité et de profondeur, de cette même manière, il nous révèle la complexité des êtres, et vient, là encore, enrichir cette histoire pleine d'humanité.
Je me sentais seul, infiniment seul, seul et heureux. Je me sentais petit, infiniment petit, insignifiant, précaire et fugace. Je n'étais qu'une poussière d'âme. Un souffle d'esprit. A l'échelle de l'univers, ma vie, mes tourments et mes joies ne duraient même pas l'espace d'un râle ou d'un soupir. Le désert et les cieux s'unissaient pour me noyer dans leur immensité.

Il s'agit bien d'un roman qui nous tient en haleine jusqu'à l'épilogue, passionnant, documenté, où l'écriture tonique, parfois lyrique, laisse s'articuler la passion avec la philosophie, la sagesse et l'humour
"Sois heureux un instant. Cet instant, c'est ta vie." Omar Khayyam, écrivain et savant (1048-1131)

Anne-Marie Boisson 
(26/03/14)    



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Noir & polar









Editions Jigal
344 pages - 19 €






Philippe Georget,

né en 1963, participe à 20 ans à la construction d'une école au Nicaragua. De retour en France, il reprend des études qui le conduisent à une licence d'histoire puis une maîtrise de journalisme. Il travaille d'abord pour Radio France et Le Guide du Routard avant de se lancer dans la télévision régionale. En 2001, il embarque femme et enfants dans son camping-car et fait le tour de la Méditerranée. À son retour, il pose ses valises dans les environs de Perpignan. Et c'est là, en pays catalan, qu'il situe la plupart des intrigues de ses premiers romans qui ont été récompensés par de nombreux prix littéraires







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