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Ce recueil de nouvelles posthume regroupe à la fois les dernières nouvelles écrites par l’auteur en 2021 et d’autres plus anciennes, lauréates de divers concours et jamais publiées. Ces quatorze nouvelles de six à dix-neuf pages dont l’écriture s’échelonne de 1999 à 2021 qui se retrouvent ici indifféremment mélangées, s’articulent autour d’un certain nombre de thématiques. Ce pas de côté pour évoquer une réalité singulière, triviale ou quotidienne, on le retrouve dans trois nouvelles. En 2021 avec Covoit, une courte fantaisie amoureuse sur fond de chômage économique. En 2003 avec Fissure(s) où un représentant commercial de nains de jardin subissant l’inéluctable érosion de ce marché et l’usure de vingt-cinq ans sur les routes, ne supporte plus ni ses clients, ni Blanche-Neige et son air de sainte-nitouche, ni son épouse, ni sa vie gâchée par le travail. Un signe suffit pour que Blanche-Neige se transforme en arme par destination pour assommer un client grincheux... Si la présence active des nains facétieux allège un peu le scénario, celle-ci est la seule nouvelle vraiment noire du recueil. Dans Cabine 4 (2004) si Jeannine Brignon qui en blouse de nylon bleu ouvre la grille des sanitaires du centre commercial (univers ultra-aseptisé qui n’est pas sans nous faire penser au milieu hospitalier) à huit heures tapantes puis surveille les toilettes jusqu’à leur fermeture à dix-neuf heures avant de se livrer de façon pointilleuse à leur grand nettoyage, prend ici les traits d’un robot traqueur de microbes, un détail cloche. Pourquoi semble-t-elle porter à cette cabine n°4 toujours close et probablement hors d’usage un tel intérêt ? Quel est son secret ? C’est là le mystère que l’auteur fait surgir de l’ordinaire le plus trivial à travers son personnage déroutant. Quatre de ces nouvelles s’inscrivent dans le thème même de l’édition, du livre ou de l’écriture. Ainsi en est-il de la première, Marée noire, dont le héros est un bibliophile qui « tourne les pages (…) pour en admirer la qualité typographique. Je les aime pour leurs couleurs, pour leurs odeurs et pour leurs formes », avant qu’un jourles textes se vengent et envahissent sa maison du sol au plafond. Devant cet assaut de mots vivants et véloces, semblables « à des fourmis processionnaires », l’homme paniqué sentant que toute tentative de fuite est désormais impossible cherche à endiguer ce flot obstiné et à se protéger de ces lettres qui « dans leur exode s’entrechoquaient, pleins contre déliés. Les jambages crissaient sur le parquet. C’était le bruit d’une armée qui défile, une armée de majuscules et de minuscules partant en guerre »… Une nouvelle non datée et résolument fantastique à la manière d’Edgar Alan Poe. La boîte aux lettres en fonte achetée par Julie chez un antiquaire dans Post(e)-mortem (2005) est au centre d’unincroyable scénarioqui oscilleentre Histoire et fantastique autour de la correspondance que l’ex-objet public a avalé sur une centaine d’années. Ce récit étrange illustre la façon dont un objet peut prendre possession d’un individu. Encrage (2014) et Le Liseur (2005) se répondent avec pour personnage commun Gaston qui travaille depuis plus de trente-huit ans au pilonnage des invendus. On le retrouve donc dans la première nouvelle au Salon du Livre de Paris où une jeune fille au visage d’ange pourrait bien introduire un grain de sable dans la machine bien huilée de son existence puis dans la deuxième sur son lieu de travail où l’on peut voir les effets de ce renversement. En équilibre entre réalisme et loufoquerie c’est bien l’amour de la lecture qui ici se glisse. Dans Bec et ongles Jean-Paul Didierlaurent nous raconte le monde et les gens comme ils sont, entre ombre et lumière, fragiles, cabossés, dépassés parfois, avec un naturalisme pailleté d’humour, de fantaisie et de mystère. Ses nouvelles sont vives et efficaces, la tolérance et la générosité y affleurent avec empathie et bienveillance et les personnages de fiction qui en émergent sonnent juste et nous sont proches. L’adresse que montre l’auteur pour entrelacer le réel et le fantastique sans que le lecteur ne parvienne à pressentir le moment de cette bascule est résolument du grand art. Un beau recueil à déguster. Dominique Baillon-Lalande (06/04/23) |
Sommaire Lectures Au Diable Vauvert (Décembre 2022) 208 pages - 19 € Version numérique 9,99 €
Jean-Paul Didierlaurent sur Wikipédia Découvrir sur notre site d'autres livres du même auteur : Le liseur du 6h27 La fissure |
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