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Xavier Barthoux, un monsieur tout-le-monde de presque cinquante ans, mène une petite vie tranquille à Clermont avec une femme, une bourgeoise catholique coincée toujours accompagnée de son chihuahua à mille huit cents euros « ce qui rapporté au gramme […] coûtait aussi cher qu’un caviar sibérien », et un grand fils étudiant qui ne se rappelle son existence qu’en fin de mois. Après l’achat de la Mercedes et avant celle du chien, le couple avait fait l’acquisition d’une résidence secondaire décrépite mais pleine de charme à Alzon dans les Cévennes où ils se rendaient dès le vendredi soir pour éviter les embouteillages du samedi. Xavier exerce depuis plusieurs décennies ses fonctions de commercial pour la Maison Frachon, un fleuron de la statuaire de jardin depuis 1929. L’usine, quand elle fut rachetée fin des années 2000 par un holding américain, tournait avec plus de soixante-dix ouvriers et ses nains en terre cuite, ses Vierge Marie et ses Blanche-Neige se vendaient dans la France entière et même au-delà. Depuis, des modèles plus modernes sont dessinés aux USA et réalisés en plâtre, plastique ou résine dans des ateliers chinois. Il ne reste que quatre salariés dans la grande bâtisse : le directeur, le chef d’atelier « qui faisait office de manutentionnaire », la coloriste en fin de carrière et Xavier qui sillonne le pays pour placer la marchandise chinoise estampillée Made in France. Bref, quand le roman commence, l’homme englouti par sa routine et son confort s’ennuie ferme entre une épouse qui trente ans après l’agace plus qu’elle ne l’émeut, une belle-famille incontournable qui le méprise, un fils distant et un boulot qui ne ressemble plus à rien. C’est alors qu’un beau matin, entre les tartines et le café, derrière la vigne grimpante qui recouvre la façade, Xavier découvre qu’une fissure traverse de part en part le mur de cette maison dont il vient juste de liquider les traites et qu’il a mis tant d'énergie à restaurer.
Il faudra un burn-out professionnel, une fissure qui s’étend esquissant la ligne vers un ailleurs et une rencontre élective singulière avec un nain en terre cuite, des douaniers scrupuleux pour une scène truculente et d’autres épisodes rocambolesques, pour glisser de la réalité de l’ordinaire somme toute assez banal d’un quidam français de classe moyenne, un « individu de pacotille, un usurpateur de lui-même » comme il aime à se définir, aux balades d’un ghost-writer dans les brumes de la sauvage et mystérieuse île de Chatham. Cependant, derrière cette drôlerie, le conte philosophique jamais ne dévie de cette quête existentielle que le personnage principal (mais aussi ceux qu’il croise parfois durant son errance comme Mo la coloriste ou Bobby l’hôtelier) entreprend. S’émancipant des contraintes et se dépouillant de tout pour aller à l’essentiel, il se dévoile progressivement à nos yeux comme aux siens et, à travers sa liberté recouvrée, approche sa vérité et affirme son identité. De façon inattendue, outre son aspect psychologique et sociologique et derrière son humour, ce roman se fait aussi documentaire avec l’évocation du peuple maori et la tribu des moriori dont le chef, après d’incessants combats qui décimaient son peuple guerrier dans l’île au risque de le voir disparaître, édicta une loi dite de « Nunuku » qui interdisait formellement toute mise à mort pour pacifier son territoire. Deux siècles plus tard ils étaient 1600 sur l’île quand une invasion maorie et les maladies introduites avec la colonisation n’en laissèrent debout qu’une petite centaine. La construction rigoureuse qui porte le récit, son rythme vif, des trouvailles linguistiques réjouissantes, tout concourt à embarquer sans temps mort le lecteur dans cette improbable aventure dont la fin le laisse le sourire aux lèvres. Dominique Baillon-Lalande (09/04/18) |
Sommaire Lectures Au Diable Vauvert (Janvier 2018) 336 pages - 18 € Folio (Mai 2019) 288 pages - 7,40 €
Jean-Paul Didierlaurent sur Wikipédia Découvrir sur notre site un autre livre du même auteur : Le liseur du 6h27 |
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