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Sophia MAVROUDIS


Stavros sur la route de la soie


« Le confinement a pesé sur lui comme les barreaux d’une prison : l’absence de luminosité, de couleurs et de la douceur du soir… » C’est ainsi que nous retrouvons le commissaire Stavros Nikopolidis, avec ce besoin vital de renouer avec ses habitudes chez sa vieille amie Matoula, propriétaire de son bar préféré situé en face du commissariat. Et plus particulièrement dans ce « coin » où il aime venir, soit pour jouer au tavli, soit pour réfléchir à ses enquêtes et prendre du recul, soit… pour tout cela à la fois !
Et puis : « La face sombre et silencieuse d’Athènes, l’incongruité de son silence, son désarroi, ses cicatrices intérieures. Tout cela lui renvoyait son isolement et ses propres contradictions, insidieuses, lancinantes. » C’est alors que tout à sa contemplation de l’Acropole – « Elle ressemble à un ornement suspendu en plein ciel » –, il ne se doute pas qu’un premier acte va se jouer : car il n’a pas vu tomber l’homme, celui-là même qu’il avait aperçu un instant plus tôt tout en haut de l’immeuble d’en face.
Le roman se déroule du 20 au 25 juin 2020.  Et si nous apprécions le commissaire Stavros, pour l’avoir vu à l’œuvre lors des deux précédents romans de Sophia Mavroudis, cela vaut également pour son équipe aux talents précieux et si complémentaires.
Cet homme tombé, Lee, un Chinois, personnage très important apparemment, est celui qui, comme le dit Stavros, « rachète le Pirée et Athènes par immeubles entiers à des prix bradés ». L’enquête déclenchée va être complexe et perturber notre commissaire. Car selon lui « le meurtrier avait une raison de le tuer ici. Il faut donc trouver ce qui se cache sous ce dossier, en décortiquer tous les aspects ».
Et notre autrice de prendre encore une fois le soin de nous rapporter des faits, puis des analyses politiques (et sociales), pour que progressivement, le contexte puisse être bien saisi, tout en nous faisant part à bon escient, des pensées originales, voire à contrecourant, de son héros de commissaire. Et justement ses collaborateurs ne sont pas en reste, et en particulier Dora « une ancienne des forces spéciales » qui s’autorise certaines déductions et des initiatives parfois dangereuses avant d’en parler à Stavros. Mais lui-même a cette faculté ou cette intelligence de reconnaître les talents de chacun des membres de son équipe, afin de les mettre au premier plan, si besoin.
Le roman nous invite à déceler une combinaison d’intérêts parfois contradictoires, avec des personnes prêtes à tout pour conserver ce pouvoir que donne la fortune, même, et surtout, si celle-ci est mal acquise. Et justement ici où la Grèce risque de s’enfoncer et de perdre son âme. C’est du moins ce que l’autrice, avec les données géo-politico-financières fournies nous livre au fil des pages, depuis son premier roman. Mais toutes ces données inquiétantes sont mêlées à l’amour de son pays et à ce que cette vieille civilisation peut encore apporter.
Il est alors décelable que les intérêts chinois, grecs et autres européens, dans cette affaire puissent être dépendants les uns des autres, tout en étant concurrentiels. Mais la mort de M. Lee reste le travail de l’équipe du commissaire avec à sa tête son chef Livaros, intelligent et honnête mais qui peut, par prudence ou par peur, se laisser prendre par les enjeux de la politique !
Néanmoins, en s’adressant ainsi à l’équipe, il indique : « La Grèce a payé pour recapitaliser les banques européennes essorées par la récession et parer à l’étranglement financier de la BCE. » Et de poursuivre son discours explicatif : « La présence chinoise est un pied de nez aux Européens. L’Europe n’est rien face à ce mastodonte […] Et nous, Grecs, tergiversons sur notre alliance économique avec la Chine, à l’heure où se dessinent de nouveaux affrontements ? […] Pékin investit et créé des emplois. C’est pourquoi notre partenaire Lee mérite respect et discrétion, répète-t-il pour qui n’aurait pas compris. »
Les investigations de Stavros se poursuivent, d’autres meurtres vont venir et notamment celui d’un journaliste. Les enjeux sont importants et certains personnages eux aussi assez complexes, comme cette Yi Ho au charme ravageur. Va-t-elle remplacer son patron Lee ? Quel est son véritable rôle dans cette affaire ?
Lorsqu’un soir Stavros pense à cette enquête, c’est pour en déduire qu’elle ressemble à des poupées russes. « Chaque volet conduit à un autre qui est imbriqué au précèdent. Que trouvera-t-il tout au bout dans la dernière petite poupée, si ténue qu’il pourra à peine la tenir dans ses mains ? »
Alors au cœur de cette intrigue parfois compliquée, comme de cet état des lieux sans complaisance que dresse Sophia Mavroudis, nous succombons néanmoins, au travers de moments magnifiques, au charme de cette Grèce éternelle, que l’autrice parvient à nous faire ressentir par son écriture et les émotions qu’elle suscite. Même si elle-même n’est pas dupe et nous offre dans les pensées de Stavros cette note plus nuancée : « Athènes est meurtrie, et souffre en silence. Surtout quand les touristes sont là, qui lui renvoient en pleine figure ce qu’elle n’est plus : l’insouciance, l’opulence, les vacances. »
Mais touristes ou non, il est certain que les lectrices et les lecteurs resteront longtemps sous son charme …

Anne-Marie Boisson 
(26/10/21)    



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Noir & polar








Jigal
(Septembre 2021)
296 pages - 18,50 €










Sophia Mavroudis
,
gréco-française, est docteur en sciences politiques. Stavros sur la route de la soie est son troisième roman.






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