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Sophia MAVROUDIS


Stavros contre Goliath


Voici donc le deuxième roman de Sophia Mavroudis, qui, à travers une nouvelle intrigue policière nous montre et nous parle de la Grèce contemporaine qu’elle analyse avec ses richesses, ses contradictions, ses manipulations politiques et autres. Et c’est avec plaisir que nous retrouvons son personnage principal, le commissaire Stavros Nikopolidis « porté par ses jambes musclées qui soutiennent ses quatre-vingt-sept kilos et son mètre quatre-vingt-sept » et qui, ordre de la hiérarchie oblige, doit interpeller un terroriste soupçonné de préparer un attentat en Europe et qui se cache parmi les migrants qui arrivent à Athènes Et pour ce faire – injonction de Bruxelles – notre commissaire doit collaborer avec la police turque.

Le commissaire Stavros, lors du premier roman de Sophia Mavroudis, était déjà apparu opiniâtre, original et d’une grande humanité. Amateur d’ouzo comme du jeu du tavli où les parties sont de vrais combats chargés de sens et que seuls quelques initiés ou habitués savent en apprécier tout l’intérêt.

L’action se déroule du 2 janvier 2019 – « Dans cette nuit sans lune, noire et opaque, le patrouilleur grec, assisté par deux navires des garde-côtes, fend les flots de l’Egée à vitesse de croisière. La mer enfle et gronde, recouvrant tous les autres bruits, celui des mouettes, du vent, des hommes. Les vagues se dressent menaçantes face à eux. » – au 7 janvier 2019.

Notre commissaire perçoit vite qu’avant avant de pouvoir mettre en place une stratégie, il doit comprendre les vrais enjeux de cette mission.

À noter que son entourage proche est important dans sa vie personnelle : son fils, jeune garçon de treize ans avec qui il vit, sa vieille mère et Matoula une amie qui tient le bar face au commissariat dans lequel il se réfugie, quasi annexe de son bureau. Quant à ses collègues, ils n’ont rien à lui envier et peuvent comme lui, avoir leur propre analyse de la situation. Ainsi sa co-équipière Dora : « Elle aime la façon indisciplinée et marginale de mener ses enquêtes de celui avec qui elle partage les mêmes origines anatoliennes, la même passion du tavli, et le même silence intérieur.» Cette ancienne des forces spéciales peut avoir une opinion très personnelle quant à sa collaboration forcée avec Cengiz, le policier turc. Glykas, semble ne pas cacher ses sympathies pour l’extrême droite, et Zervenis, lui, « reste avant tout un homme de l’ombre, un suiveur, un indic plus qu’un bastonneur ». Et puis il y a Eugène qui, à présent qu’il fait « du hacking pour les autorités, ce qui s’appelait officiellement de la recherche », va pouvoir percer certaines manipulations secrètes. « Malgré tout Stavros a confiance en eux. Grandes gueules, aux comportements extrêmes et à la personnalité affirmée, ils sont tous dévoués, courageux, professionnels. Ils connaissent la terre grecque, l’humeur des vents, la versatilité de la mer. L’âme du pays bat en eux. »

Le camp de réfugiés, comme dans bien d’autres pays, où se jouent beaucoup de manipulations, est ici un théâtre incontournable où plusieurs drames se jouent. « C’est la troisième vague d’immigration depuis le début du XXe siècle. Mais aujourd’hui c’est différent. Notre exil n’est plus celui du départ mais un exil intérieur. Etre grec aujourd’hui, c’est affronter l’exil de soi. Nous sommes mal à l’aise face au changement, à l’étroit, étrangers à nous-mêmes dans notre propre pays. C’est terrifiant. »

L’actualité dans cette histoire nous offre de riches sujets de discussion entre les personnages, qu’il s’agisse de la politique imposée de Bruxelles ou des ordres que Livanos, le chef direct de Stravros, transmet tout en essayant d’être à la hauteur de son rôle.

La recherche-poursuite de ce terroriste, reste au cœur des actions. Encore faut-il que le groupe de Stavros puisse travailler avec leur partenaire turc. Le débat avec Livanos, est toujours d’actualité. « Il s’est toujours refusé à participer à la psychose collective grecque, mais avec l’invasion de Chypre en 1974, le rejet des traités internationaux par la Turquie en 1986, les incidents d’Imia en 1996, et plus récemment la remise en cause du statut des iles du Dodécanèse, il y a quand même de quoi s’inquiéter.»

L’autrice Sophia Mavroudis sait aussi mettre en exergue l’humanité de Stravos dans sa récente relation avec le jeune Hamid qu’il va pouvoir aider.  

Elle réussit non seulement à nous transporter dans cette Grèce actuelle, par son propos et ses connaissances de ce pays, mais elle arrive aussi à combiner dans ce roman qui accroche ses lecteurs, les descriptions pertinentes des complices ou adversaires de Stavros, avec la poésie des paysages, sans oublier les dialogues pleins d’humour. Nous sommes ainsi intégrés dans la vie de cette équipe et dans cette Grèce actuelle, ce qui, avec le suspense dû à la fameuse poursuite et aux crimes que l’on va découvrir, nous retient fortement et peut aussi faire évoluer nos représentations. Sans oublier évidemment ses arrêts sur population…

Un talent de romancière bien en place !
Sensible, documenté, analyse intéressante, poésie à l’occasion, et humour… un régal.

Laissons le dernier mot à Stavros : « Je suis nostalgique de notre culture, de nos origines anatoliennes, de la Grèce hors de ses frontières étriquées. Les Grecs sont beaux dès lors qu’ils sont libres et voient large. Cette nostalgie n’est pas géopolitique mais porte sur la perte de la mémoire historique grecque et le meilleur rôle que nous puissions jouer. »

Anne-Marie Boisson 
(12/02/21)    



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Noir & polar








Jigal
(Septembre 2020)
272 pages - 18,50 €


















Sophia Mavroudis
,
gréco-française, est docteur en sciences politiques.
Stavros contre Goliath
est son deuxième roman.






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le précédent roman de
Sophia Mavroudis :


Stavros