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Arnaud DUDEK


Laisser des traces

Mais soudain voilà je m’éveill’dans mon lit
Donc j’avais rêvé, oui, car le ciel est gris
Il faut se lever, se laver, se vêtir
Et ne plus chanter si l’on a plus rien à dir’
Charles Trenet  (Y’a de la joie)


Maxime Ronet est un jeune politicien ambitieux, dont son parti, Le Mouvement, espère beaucoup.  Il veut « laisser des traces » mais s’il a l’apparence  et souvent le discours d’un futur Sarkozy  ou d’un Macron…

– Devenir maire c’est, de nos jours, prendre la tête d’une entreprise… Nous sommes devenus des managers, nous donnons le tempo, nous faisons en sorte que tout le monde joue juste, comme des chefs…

 Il y a trop de fragilités en lui, peut-être ses origines modestes, pour que seule l’ambition le guide, alors, il va apprendre, aux côtés de sa gentille et efficace secrétaire, en étant devenu maire d’une petite commune, Nevilly (et non pas Neuilly), que sa tâche est peut-être plus humble mais plus profonde et utile que laisser un nom dans l’Histoire.

L’histoire de ce jeune maire, que j’imagine beau comme Maurice Ronet, dur et tendre à la fois, est bâtie sur des chapitres courts regroupés sous des titres drolatiques : Echarpe et soda, Carottes et polémique, Brouillard et sociologie, Tajines et cahiers, qui montrent ironiquement l’ambivalence du métier d’homme politique : brasser de grandes idées et mettre les mains dans le cambouis !

Un mardi après-midi, Ronet s’enthousiasme, agitant ses longs bras en l’air, devant des objets créés par des élèves de grande section de maternelle, amas informe de papier crépon, de gommettes et d’étranges étrons de pâte à modeler qu’un professeur souffrant d’un léger zézaiement présente le plus sérieusement du monde comme des « vaisseaux spatiaux à histoires ».

 Maxime est lui aussi, un personnage ambivalent.   « Fabriqué » par son ascension sociale, ses études, son parti,  il se détricote sous nos yeux, au fur et à mesure de la prise de conscience qu’il a de la tâche qui lui incombe, en une « vraie » personne, qui va peut-être renoncer à ses ambitions pour mieux répondre à l’attente de ses administrés, dont le suicide d’une, va servir de déclencheur à sa prise de conscience.

– Mais ce qui compte, […] ce sont les toutes petites traces qu’on peut laisser chez les autres.
– Pas de décret Ronet.
– Pas de décret Ronet, non. Mais un concours pour M. Diop. Un nouveau plan de circulation. La revue de jurisprudence de M. Chauffard… Les cahiers d’Emma… Ne vous sous-estimez pas. Ne passez pas d’un extrême à l’autre. Vous pouvez faire de grandes petites choses.

 On passe de l’arrogante certitude d’un petit con en début de roman à de vrais questionnements d’un homme  anxieux à la fin : Tu sers les éléments de langage cuisinés par les copains du Mouvement ? On court vers la catastrophe, Maxime. Les partis traditionnels ont une image désastreuse. À force d’entretenir la confusion idéologique, faute d’avoir su mettre leur discours en cohérence avec la réalité de leur pratique du pouvoir, la gauche et la droite sont en lambeaux. J’ai cru que le Mouvement livrerait un logiciel politique plus moderne. Grossière erreur : c’est une plate mouture du même libéralisme qui sévit depuis bientôt quarante ans sur la planète […]

Comme à son habitude, l’air de rien, l’auteur nous parle légèrement de sujets graves, et cette « réhabilitation »  de l’engagement politique n’est bien sûr pas le seul charme du roman d’Arnaud Dudek, c’est, je me répète, comme dans ses autres romans, sa façon distante, joyeusement triste, ironiquement gentille, à la manière de Charles Trenet, de nous raconter le prosaïque, « le dur labeur de l’Universel » qui rend irrésistible ses écrits, l’émotion surprenant au détour d’un passage moqueur.

Tandis qu’elle s’efface de son champ de vision, il se demande pourquoi la vie c’est aussi ça – des au revoir qui sonnent comme des adieux, dans des parcs remplis de joggers.

Sylvie Lansade 
(31/05/19)    



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Lectures







Arnaud DUDEK, Laisser des traces
Anne Carrière

(Mai 2019)
190 pages - 17 €







Arnaud Dudek,
né à Nancy en 1979,
nouvelliste et romancier,
a participé à plusieurs revues littéraires.
Laisser des traces
est son sixième roman.


Bio-bibliographie
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