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Maïssa Bey, en exergue, cite cette phrase de Marguerite Duras dans Emily L. : « Il me semble que c’est lorsque ce sera dans un livre que cela ne fera plus souffrir… que ce ne sera plus rien. Que ce sera effacé. Je découvre ça avec cette histoire que j’ai avec vous : écrire, c’est ça aussi, sans doute, c’est effacer. Remplacer. » Une femme sortie de prison, après avoir effectué une peine de quinze années pour meurtre, est sollicitée par une écrivaine qui s’intéresse à elle, à son histoire. Alors, est-ce cela que nous allons découvrir dans ce roman ? Ce qui naîitra de l’écriture ou à travers l’interaction de l’écrivaine avec la personne qui va nourrir ce roman, pourrait atténuer la souffrance ? Parce qu’elle sera alors écrite « dans un livre » ? Le roman est ainsi construit avec ce que ressent cette femme, cette « criminelle ». Ce qu’elle livre de cette « nulle autre voix » parce que c’est la sienne. Avec ce qu’elle consigne dans son carnet, et autour de ce qui se dit lors de ses rencontres avec l’écrivaine. Avec la parole pour l’écriture, la mémoire ira progressivement chercher l’enfance, la place des femmes dans cette enfance, et peut-être déjà la place des mots : « Je suis souvent surprise par la violence des mots de ces femmes qui, de leur balcon, promettent d’égorger, d’étrangler ou d’écorcher vifs leurs enfants qui jouent dans la rue s’ils n’obéissent pas immédiatement à leurs injonctions. À force d’avoir servi, les mots s’émoussent. » Depuis cette violence évoquée, et parfois si sournoise qu’elle peut sembler invisible, peut-être, alors comprendre ce qui a pu amener cette femme-là à commettre ce crime-là. Mais il ne s’agit pas seulement d’un recours à l’anamnèse. Car on va supposer que cet acte irréparable vient de plus loin, de cette culture ingérée, et se développant dans cette société où la liberté des femmes, niée dès l’enfance, ne pouvait exister, ni peut-être même être nommée. Cette imprégnation serait alors venue rencontrer une histoire personnelle, familiale. Ou, comme elle le dit elle-même : « Peut-être qu’en tuant cet homme, je suis arrivée à ce que je souhaitais secrètement : obliger ma mère à tenir compte de mon existence. L’atteindre dans ce qu’elle a de plus précieux : son honorabilité et celle de la famille tout entière. Mais aussi qu’elle souffre par moi, à cause de moi, comme j’ai souffert à cause d’elle. Au secours Freud ! » La construction de ce roman reflète à la fois la progression de ce qui s’installe entre l’interviewée et l’intervieweuse : « Elle m’a forcée à relire mon histoire. Pas seulement le temps de nos rencontres. Me voilà à parcourir chaque instant de mon existence. » ou bien « Elle dit qu’elle veut être au plus près de la vérité. Quelle vérité ? Celle que je lui sers parcimonieusement ou celle qu’elle tente de débusquer derrière mes silences ? », et la force de l’écriture, qui est toujours présente, et qui libère. Déjà en prison, elle avait été sollicitée par ses codétenues en manque de mots, pour qu’elle leur écrive courriers et messages. Alors si cette femme s’est laissé convaincre de parler, si elle commence à « dire », elle se met aussi à écrire des lettres à l’écrivaine, après certains de leurs entretiens, comme une suite, un complément. De cette façon, en allant sur son terrain, elle corrige ou nuance les propos échangés. « J’invente mais je n’enjolive pas. […] Après tout c’est ma vie ! Qui pourra jamais deviner ce que j’y ajoute ou ce que j’en retranche ? » Ces lettres, 13 en tout, vont, non seulement réveiller sa pensée, mais aussi initier une forme de retour au monde. Elle les donnera à sa destinataire, lorsqu’elle le jugera opportun ou nécessaire. Ainsi, comme dans cette lettre 10, où il est toujours question d’écriture : C’est bien l’écriture qui est au centre dans ce roman. L’écriture et ses effets sur les protagonistes de l’histoire, mais l’écriture qui peut aussi faire peur. Alors : « Quand j’écris, la souffrance se tait. Je la tiens à distance. Mais elle est là. Perchée en embuscade sur le rebord de la page. N’attendant qu’une hésitation, un moment de distraction pour fondre sur moi. » Est-ce que cela nuancerait la citation initiale ? Mais ce qui est dit, parfois à peine posé ou qui peut sembler à la merci d’une contradiction, devient alors, du seul fait de cette écriture-là, profond, passionnant et lourd de sens. Anne-Marie Boisson (01/10/18) |
Sommaire Lectures L'Aube (Août 2018) 248 pages - 19,90 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Retrouver sur notre site d'autres livres de Maïssa Bey : Surtout ne te retourne pas Sahara, mon amour Bleu blanc vert Pierre Sang Papier ou Cendre L'ombre d'un homme qui marche au soleil Chaque pas que fait le soleil Hizya |
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