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Leïla SEBBAR


Mon cher fils



Un père veut reprendre contact avec son fils. Ce n’est pas simple. Il vit en Algérie. Son fils, Tahar, qu’il a du mal à nommer, vit en France. Il parle de son fils mais n’arrive pas à dire Tahar comme si celui-ci avait perdu toute identité. Ce n’est plus qu’une ombre pour lui. Il n’a plus de nouvelles depuis très longtemps.

Il lui écrit par l’intermédiaire d’une jeune femme écrivain public à la Grande Poste d’Alger car il ne sait ni lire, ni écrire.
Leurs deux destins se croisent, celui de ce vieil homme et celui de cette jeune fille.

Le vieil homme a travaillé toute sa vie dans les usines Renault situées sur l’Ile Seguin. Il a vécu une vie d’ouvrier, les grèves, la période des implantés, ces jeunes étudiants qui venaient travailler comme ouvriers, les jardins ouvriers où il se retrouvait avec les copains.

« La même histoire tant de fois répétée et lui, en bleu de Chine, assis sur une vieille chaise en bois en face de la jeune fille qui vient d’arriver... Il ne veut pas parler de lui, ni de ses années à l’île Seguin, l’usine Renault grande comme un paquebot de croisière, il les voyait à la télévision, ces bateaux pour les riches, si beaux sur la mer et dedans comme un palais, un palais vu à la télé, si la télé n’existait pas, il ne saurait pas. Et tous ces pays où il n’ira jamais. L’île Seguin c’était un pays avec le bruit des chaînes et le bruit des langues étrangères, les belles voitures c’était eux les ouvriers, leurs mains avaient fabriqué tout ça, un jour ils auraient les vieilles Renault d’occasion, bientôt à la casse, comme eux, chibanis abandonnés. C’était une maison, une famille, seulement des hommes, oui, mais c’était mieux que la cité, la maison de sa femme et ses reproches tous les jours, bien sûr huit enfants... Et lui, pas là quand il fallait, il aurait travaillé même le dimanche pour être loin, manger et bavarder, plaisanter et rire avec les ouvriers ses amis, ils ne se connaissaient pas mais dans l’usine, au travail, à la pause, dans les luttes, ils étaient amis. Après l’usine, il n’y avait plus d’amis, sauf les amis qui payaient des tournées au café, avec quel argent ? Lui jouait aux cartes, aux dominos dans les cafés arabes où il pouvait rester longtemps avec son café froid, les autres aussi. »

La jeune fille, Alma, parle de sa famille, de son grand-père, de son père musicien et de sa mère qui est partie vivre en Bretagne.

Les récits se mêlent. Le passé détermine le présent. Les vies écartelées d’un côté et de l’autre de la méditerranée ressurgissent chez cet homme qui a tant de mal à communiquer avec ses enfants. Se dire « je t’aime », se parler, se comprendre est si difficile.

Certains de ses amis, ouvriers comme lui, n’ont pas pu rentrer au pays. Leur vie et leurs souvenirs sont ancrés sur le sol français alors que ce pays les ressent comme des profiteurs. Ils ont donné et on ne leur redonne rien. On les cantonne dans des foyers où ils se retrouvent pour jouer aux cartes ou aux dominos.

Ce texte où s’imbriquent les destins est chargé d’émotions, de non-dits, de la difficulté à exprimer les sentiments. C’est un souffle de nostalgie sur ces êtres qui ne vivent pas ensemble et ont du mal à se comprendre, happés par le travail qui les éloigne de leur famille. Ils finissent par être en exil d’eux-mêmes.

Brigitte Aubonnet 
(10/04/10)    



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Éditions Elyzad

160 pages, 15 €




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