Isabelle Rossignol a écrit Les ombres et la plaie à la Villa Mont-Noir, au cours d’une résidence d’écriture « J'ai rencontré cinq fois un groupe de stagiaires de l'association "Envol". Composé de six fidèles, ce groupe a activement participé au projet : donner à un auteur tous les ingrédients nécessaires à l'écriture d'un texte. Pour nous tous, cette expérience était inédite et, au début, quelque peu inquiétante. Moi, auteur, comment allais-je trouver le moyen de les faire s'exprimer ? Et leur univers allait-il être en connivence avec le mien ? Eux, stagiaires, pourquoi et comment devaient-ils me faire confiance ? En quoi cet auteur qui venait les voir n'allait-il pas purement et simplement s'emparer de leurs idées pour les travestir et, finalement, les trahir ? […] Le thème choisi par le groupe est celui de la chute et de la guérison après la chute, un thème que j'aurais pu moi-même me donner tant il correspondait, à cette période de ma vie, à ce que je vivais. C'est donc avec empathie que j'ai écrit Les ombres et la plaie (conte ordinaire). »

Cette rencontre avec les stagiaires est une belle réussite. Elle montre à quel point la littérature peut s’ouvrir sur le monde et sur les autres et comment l’univers d’un écrivain apparaît quelles que soient les contraintes. Nous retrouvons ainsi avec plaisir l’écriture et les thèmes explorés par Isabelle Rossignol même si ses idées ont été brassées avec celles des stagiaires.

Aidez-moi ou je pars, montre la difficulté de s’aimer quand le milieu social d’origine est différent, quand le désir d’enfant, les regards portés sur le monde, l’impression de n’être pas reconnu par l’autre, viennent parasiter l’amour au fil du temps. Martine vient de quitter Rémy. Seul, face au vide, il décide lui aussi de partir, de fuir. Il prend un billet d’avion pour une ville qu’il choisit au hasard sur l’écran des départs dans l’aéroport « Il sait qu’entre eux, il y aura toujours ces deux départs. Ils laisseront une trace aussi indélébile et dévorante qu’un adultère. » Rémy va rencontrer un couple lui aussi en "rupture" : « Tu as fait le bon choix : dans le voyage, on est nulle part et partout à la fois. » Cette rencontre va lui permettre de réfléchir sur lui-même, sur la fuite, sur l’exclusion, sur l’orgueil mal placé, sur le désir d’être aimé à tout prix, sur la honte et le refus.

Les ombres et la plaie, le second texte, est plus proche du conte. Maguelone, la veille de ses treize ans découvre une plaie purulente sur son pied gauche. Elle est alors enfermée par sa mère et sa tante qui viennent la laver et la nourrir chaque jour. Dans sa quinzième année, la nuit, Maguelone va pouvoir quitter sa chambre et découvrir le plaisir charnel. Mais la plaie la fait toujours souffrir...
Ce texte, très étonnant, pourrait représenter une symbolique de la puberté et du passage à l’âge adulte : « Ainsi, mère et tante dévoilèrent leur supercherie, révélant que tel avait été le dessein que feu leur grand-père leur avait ordonné d'accomplir, la plaie étant la prédiction incontestable que Maguelone portait en elle le venin de la chair. À présent que la prédiction s'était accomplie et que le pied de l'opprobre était enterré, il était dit que la malédiction cesserait ; mais il fallait que Maguelone disparaisse. Le jour de sa dix-huitième année, elle devrait quitter à jamais la demeure de ses ancêtres. » Toute une réflexion sur la faute et la culpabilité, sur la féminité, sur l’amour et ses quêtes parcourt ce texte : «  C’est de cette façon-là que je deviens une mendiante et que je demande aux hommes de réparer ma vie en entier. Or, ce qui est à réparer, c’est mon imaginaire. » Ce texte magnifique concerne aussi toute la problématique de la transmission de mère à fille puisque la fille de Maguelone, Solange, va découvrir aussi une plaie sur son pied à l’adolescence. Les deux femmes ensemble vont lutter contre la malédiction.

Deux très beaux textes, très sensibles, très proches du corps et de l’amour comme dans les précédents écrits d’Isabelle Rossignol. Deux textes à découvrir, à lire, à méditer car ils ouvrent sur une réflexion profonde de l’être et de son devenir.

Une collection à découvrir aussi avec bonheur, celle de L’Idée Bleue, Mots-nambules : « Une collection d'œuvres de création littéraire destinée à tous les publics, en particulier aux personnes éloignées de la lecture : comme il existe de « petits mangeurs » qui ne dédaignent pas la gastronomie, il y a des « petits lecteurs » à la recherche d'une littérature de qualité.
Chaque ouvrage est composé de deux ensembles littéraires, courts romans ou longues nouvelles, le premier écrit à partir d’un matériau apporté par les participants de l’atelier animé par l’écrivain, le second étant une œuvre de création pure. »

Brigitte Aubonnet 
(06/06/06)