Marie LE DRIAN

On a marché sur la tête


Albert-Léonard, vieux célibataire, homme simple et sérieux, a décidé de s'occuper de ses funérailles. Il fait donc appel par téléphone à une entreprise moderne de pompes funèbres qui lui propose un rendez-vous à domicile avec un commercial pour l'aider dans ses choix et établir le contrat obsèques adéquat. Ce n'est pas un mais une employée, en petit tailleur bleu, séduisante, qui viendra quelques jours plus tard "J'ai eu le temps de regarder ses jambes avant qu'elle soit assise. Ses jambes et ses chaussures. Très joli tout ça. Je veux bien procéder par étapes avec elle." La belle questionne le vieil homme pour remplir son dossier : messe ou bénédiction, fleurs, annonces, inhumation ou crémation, caveau, choix sur catalogue photographique du cercueil et du monument, inscription gravée, préparation du corps, porteurs, cérémonie, tout cela donne le vertige au pauvre homme.

La visite se prolonge, restituée en un long dialogue, frôlant parfois l'absurde et le comique, entre le naïf client pris de court devant tant de complexité mais soucieux de ne pas donner une apparence négative de sa personne et la représentante, professionnelle à l 'amabilité de façade vite craquelée quand elle s'aperçoit des goûts modestes et des revenus limités de celui-ci.

La narration est à la première personne et par intervalles, l'homme, agacé par l'assurance supérieure et le mépris à peine masqué de "la demoiselle des obsèques" se laisse aller à des apartés satiriques et pleins de bon sens. "La jupe et le regard intense doivent faire partie du contrat d'embauche", "ils cherchent à s'implanter, la mort est à la mode, enfin ce genre de mort..."

Une fois le dossier rempli en deux exemplaires, elle est partie, enfin, et lui peut se prendre ce petit remontant bien mérité vers lequel, depuis un bon moment, allaient tous ses désirs. "J'ai sorti ma bouteille, mon verre. Je n'ai pas envie de compter tout de suite. Il faut que je mette de l'argent de côté, c'est sûr. Parce que ça coûte cher de mourir." Un mois plus tard, jour pour jour, comme prévu, elle revient faire valider les choix et signer le fameux contrat. Le vieux "rangé des voitures" qui ne "joue plus de la bouteille" depuis belle lurette en a pris pour cinq ans en petites mensualités.

Une nouvelle sur un sujet grave et original traité avec causticité et cocasserie. Un récit vif et enlevé qui se moque de l'absurdité d'un système qui traite l'humain en consommateur captif jusqu'à la fin ultime.

En écho au texte, les dessins style BD de Raphaël Larre transforment les cimetières en jardins bucoliques, installent côte à côte tombe et container et font surfer sur les vagues une pin-up triomphante sur une pierre tombale. Sérieux s'abstenir
"Notre quotidien dérape puisque, décidément, notre monde marche sur la tête" semblent dire texte et illustrations à l'unisson. Un divertissement intelligent et salvateur.

Dominique Baillon-Lalande 
(18/04/07)    



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Ed. du Chemin de Fer
68 pages - 13 €

www.chemindefer.org





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