Sylvie HUGUET, Le démon aux digitales



Pas de nom ou de prénom pour les deux protagonistes de ce roman, seulement un je et un tu. A la mort de son chat, un homme de vingt-huit ans (le narrateur), revoit l’été où il l’a adopté. Il avait alors dix ans, ses parents étaient décédés et il avait été confié depuis six ans à sa grand-mère maternelle (le « tu » du roman). Relation complexe entre l’enfant et sa grand-mère souvent en crise, victime de malaises réels ou simulés, mis en scène à grand renfort de plaintes, de cris et de pleurs.

Cet été-là, ils partent pour le Morvan, dans le village où les attend l’oncle Serge. Dès le premier soir, un petit invité fait irruption dans leur vie : un chaton tout noir. Le narrateur obtient l’autorisation de l’adopter pour la durée des vacances. « Tu me fis bien comprendre que l’arrangement était provisoire : dans deux mois, il faudrait rendre le chaton. Deux mois, c’était une éternité. »

Le roman raconte ces deux mois de cohabitation difficile entre la grand-mère, le chat et l’enfant. Démon est un chaton indépendant, aussi tendre et caressant que rebelle et agressif, oscillant entre le ronronnement et le coup de griffe. « Cette bête-là n’avait jamais appris à consentir et cette insoumission me plaisait. »

Un jour, Démon se sauve et l’enfant parti à sa recherche ressent une émotion très forte à se retrouver seul, perdu dans les bois, découvrant le bonheur et l’inquiétude de la liberté et de la solitude. L’auteur nous offre des pages superbes pour évoquer le lien entre l’enfant et l’animal, pour décrire l’émerveillement du narrateur dans la nature sauvage qui entoure le village. « Très vite, j’atteignis l'endroit où Démon avait disparu. Au delà, le layon descendait en pente douce, puis remontait et s'enténébrait au loin derrière les branches. Autour de moi, fougères et drageons aux tiges pressées formaient un hallier inextricable, si touffu que j'en fus accablé : Démon pouvait s'y dissimuler partout et nulle part, et moi battre les taillis pendant des heures sans aucune chance de l'y trouver. Tous les oiseaux se taisaient. Froissements d'herbes et fourmillements d'insectes vibraient dans l'épaisseur du silence qui les recouvrait de ses profondeurs calmes, comme un étang immobile. Moi, j'étais rejeté sur la berge. Le bois resterait fermé sur ses secrets. »

Pour la grand-mère, le chat n’est pas source de découvertes et de bonheur mais de soucis et de colère, un enjeu dans la relation à l’enfant, un précieux objet de chantage affectif.

Lorsqu’elle décide que l’expérience a assez duré et qu’il est temps de se débarrasser de ce démon noir, l’enfant est prêt à tout pour le conserver. A tout ? Vraiment ? Jusqu’au dernier chapitre, il est impossible de savoir jusqu’où peut aller l’enfant dans le duel qui l’oppose à sa grand-mère…

Un magnifique roman où s’expriment avec force les sentiments contradictoires de l’enfant, l’amour, la haine et la révolte, ainsi que sa découverte de la liberté dans une confrontation au monde animal et végétal dont la violence et la puissance font écho à certaines pages de Giono.

Serge Cabrol 



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Editions La main Multiple
120 pages
16 €





La main Multiple
BP 28
74330 POISY
04 50 46 15 14




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