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Philippe
BRAZ



Né en 1959, dramaturge, nouvelliste, poète, Philippe Braz a écrit une douzaine de pièces de théâtre dont certaines sont traduites en allemand et en anglais et jouées dans de nombreux pays. Depuis 2004, il habite à Berlin où nous sommes allés le rencontrer pour lui poser quelques questions...



1) Vous avez publié des nouvelles et des poèmes mais, avec une douzaine de pièces, le théâtre constitue l’essentiel de votre œuvre. Pourquoi ce choix ou cette nécessité ?
Le théâtre est une forme de « poésie dramatique », constituée de voix différentes mises en situation produisant une « polyphonie ». Quand j'ai écrit mes premières pièces, je ne voyais pas de différence entre la poésie et le théâtre. Plus tard, au contact de la scène et des acteurs, j'ai découvert les spécificités de l'écriture dramatique, qui est devenue un réflexe littéraire, mais la poésie demeure toujours. J'essaie de concilier le choix du théâtre avec la nécessité de la poésie.

2) Les lieux où se déroulent vos pièces ont tout du huis clos. La villa d’Off-Shore, la chambre d’Eden Hôtel, le bureau de La nuit des baleines… Est-ce l’enfermement qui oblige les personnages à communiquer et à se raconter ?
Mes personnages ne communiquent pas entre eux car ils sont enfermés en eux-mêmes avant même d'être enfermés dans un huis clos. Et quand ils se racontent, c'est plus pour étouffer la parole de l'autre, vécue comme une agression ou une menace, que pour exprimer leur sensibilité. Pour mes personnages, souvent empêchés d'agir, la parole est leur premier combat contre l'adversité. C'est cette tension verbale qui caractérise – en partie – mon univers théâtral.

3) Viols, meurtres, inceste, la violence anime souvent vos personnages mais ils sont aussi confrontés à une violence sociale : pouvoir du chef de bureau, chômage, exil… Ils subissent ou ils se vengent mais semblent peu enclins au regret, au désir de rédemption ?
Mes personnages sont souvent en quête de rédemption, mais ils l'ignorent et restent en général aveugles à eux-mêmes, ce qui explique leurs comportements parfois extrêmes. Ils ne comprennent pas d'où vient leur aliénation, ils tâtonnent, ils sont dans le noir. Il s'agit peut-être d'une réminiscence de la tragédie classique, Oedipe, qui avance dans l'obscurité de sa vie et des arrêts divins. Quant à la violence sociale, elle s'exerce de plein fouet sur les personnages : ils vivent dans un monde sans règles, déshumanisé, qui induit la violence, la solitude. Mais, l'absurdité et souvent l'inadéquation de leurs réactions peuvent aussi déclencher le rire libérateur.

4) En 2012, dans Usedom Oratorio, vous avez évoqué la construction par les nazis des fusées V2 et la dualité de von Braun travaillant ensuite pour les Américains. Là encore, un homme sans regrets ni remords ?
J'habite en ce moment à Berlin, près d'une stèle commémorative de la déportation de centaines de milliers de juifs, à l'endroit où se trouvait jadis la plus grande synagogue de la ville dont il ne reste absolument rien. Cette géographie m'a toujours bouleversé et je me suis posé de nouveau dans Usedom Oratorio la question de la monstruosité dissimulée sous l'apparence de la meilleure éducation bourgeoise, comme dans le cas de Wernher von Braun. Je ne pense pas que cet homme ait jamais éprouvé ni regret ni remords. Il se vivait comme un vainqueur, qui n'allait pas renoncer à ses ambitions pour des raisons aussi futiles que l'assassinat de millions d'innocents. Cette idéologie puante – le vainqueur justifié en toutes circonstances – effectue en ce moment un retour nauséabond.

5) En lisant certaines de vos pièces, on pense à Pinter, à Becket… Des influences que vous assumez ? Y a-t-il d’autres dramaturges avec qui vous vous sentez des affinités ?
Pinter et Becket ont compté parmi mes tout premiers auteurs de théâtre, et je pourrais y ajouter Ionesco, Bernard-Marie Koltès, Werner Schwab... Dans cet art de l'éphémère qu'est le théâtre,  la seule chose qui reste, quand le noir final s'est fait sur le plateau, c'est le texte.
 
6) La nuit des baleines a une place particulière dans votre parcours. Publiée en 2012, c’est pourtant la première pièce que vous avez écrite (en 1990) et c’est elle qui vous a amené à Berlin. Une belle aventure ?
La nuit des baleines est ma première pièce, juste avant Dialogue sur Minetti, un hommage à Thomas Bernhard inédit en France mais publié en Allemagne (sous le titre Der Kunstmasochist, Le masochiste de l'art!), joué en France (mise en scène de Brigitte Athéa) et en Allemagne, en particulier au Schauspiel Frankfurt. La nuit des baleines m'a ouvert les portes de l'Allemagne. Cette pièce a été remarquée par Simon Werle, le grand traducteur de Bernard-Marie Koltès (entre autres), qui m'a introduit dans le milieu théâtral allemand. « Un voyage de mille li commence par un pas » selon un proverbe chinois. La nuit des baleines a bien été mon premier pas en Allemagne, et m'a conduit de résidence d'écriture en résidence d'artiste jusqu'à Berlin où je vis encore vingt-cinq ans plus tard.

7) Depuis, de nombreux textes ont suivi qui n’ont pas pour seule vocation d’être lus. Ils sont mis en scène, en musique, en images… Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Je rêve depuis des années d'un « poème global », mêlant sons, musique, images et bien sûr les mots, que l'on pourrait écouter-voir pendant des heures ou des jours en live sur scène, peut-être dit à plusieurs voix et qu'on pourrait abandonner et reprendre à sa guise... C'est une voie que nous explorons avec le Collectif 5050 (50% Paris, 50% Berlin) avec Brigitte Athéa et Markus Lang, compositeur de Berlin. Nous avons créé plusieurs performances spectacle tirées de mes livres, Global Eden, Usedom Oratorio ou encore Berlin-loin-de-la-mer. J'aime beaucoup Tarkos, au passage...

8) Vous travaillez aussi comme traducteur. En quelles occasions, dans quel cadre, sur quels textes ?
Je travaille comme traducteur de l'anglais et de l'allemand vers le français. J'ai traduit par exemple une pièce de Simon Werle « Hillside Avenue » qui figure au catalogue de l'Arche. Pour moi, la traduction est une re-création et une récréation.

9) Sur quel(s) texte(s) travaillez-vous actuellement et quels sont vos projets ?
Je viens de finir un texte intitulé « Cabaret DADA » qui sera programmé comme fiction radiophonique sur France-Culture au cours de cette année. Sinon, je cherche un lieu de création pour nos nouvelles performances en France.


Propos recueillis par Serge Cabrol
(Juin 2016)







La nuit des baleines






Off-Shore






Eden Hôtel






Berlin-loin-de-la-mer