Hugo

Marsan






Abel, votre dernier roman publié, est proche du théâtre. Il existe une unité de lieu. Une grande partie de l’action se situe dans un château, lieu clos où chacun cherche à exister. Est-ce que cela a joué un rôle dans la construction du roman ?
Je travaille toujours à partir de l'imaginaire. Si l'expulsion des zones obscures de mon passé reste douloureuse, inventer des personnages et les faire circuler dans une histoire plausible devient une jouissance. Je n'appuie ma "fiction" ni sur des faits historiques, ni sur une étude sociologique. Je suis donc obligé de donner un cadre rigoureux à mes "délires", d'où cette construction théâtrale. La mise en place cohérente de l'intrigue me conduit à enfermer mes personnages dans un lieu clos, comme je suis enfermé moi-même dans un univers très personnel où se dilatent des fantasmes que je ne pourrai jamais vivre.

Dans Abel, vos personnages jouent des rôles très spécifiques. La dimension théâtrale renforce-t-elle la profondeur des personnages ?
Abel pourrait être une pièce de théâtre, un film certainement. Mais il faudrait que les spectateurs acceptent le rêve, le conte de fée sulfureux, la légende. Combien déprimants sont les romans de la rentrée : infanticide, réhabilitation de personnages historiques, faits-divers. On aimerait tant des histoires qui nous arrachent à notre sort. L'imaginaire est mort.

Vos personnages se situent dans l’ambiguïté. Que représentent les limites, les frontières pour vous ?
Il n'y a pas de frontières, ni de tabous dans la fiction. La seule contrainte est l'écriture. Bien sûr mes fantasmes sont peu partagés ou refusés. L'homosexualité (est-ce le mot ?) s'y enracine dans ce que chaque être humain écarte. Mais la vie exige un choix. C'est pour cela que tant d'êtres sont "malades". La maladie est le résultat de la frustration. Les "gouvernants" organisent la consolation des malades, ils grandissent la maladie, lui donnent une valeur ! Chaque être est multiple, la société le persuade qu'il est uniforme.

Vous avez écrit précédemment une pièce de théâtre, Les jours heureux, est-ce une forme littéraire qui vous attire et vous permet de vous exprimer autrement ? Le personnage de Véréna et les hommes, l’un de vos précédents romans, est d’ailleurs un dramaturge.
Le théâtre me passionne. Il est certes une émergence littéraire puisqu'il fonctionne à partir des mots, mais, dans ce rapport quotidien (souvent nocturne) entre spectateur et auteur, à travers la chair du comédien, une pièce est loin de la lecture silencieuse et solitaire. C'est un choc salutaire, profondément libérateur. Hélas Les Jours heureux n'est pas joué ! C'est une déception prévue. Il est vrai que je "donnerais" ma pièce à toute troupe même modeste qui s'y intéresserait. Ce n'est pas exactement la disparition de l'amour qui me fascine, c'est l'impossibilité de le vivre à son zénith, un état que l'oubli va engloutir. Je tente toujours de lutter contre l'oubli. C'est la rançon de ceux qui ne trouvent aucun talent à la vie « ordinaire ».

Le vieillissement est aussi l’un de vos thèmes. Cela conduit-il aussi au retrait du monde ?
Vieillir est atroce. La vieillesse est laide. Se retirer du monde est une de mes obsessions. Orgueil ? Fuir avant d'être fui ? J'ai eu la chance de ne fréquenter que des gens passionnants. J'en ai rejeté beaucoup pour éviter la routine ou la déception. J'ai senti en moi un rétrécissement de l'enthousiasme, un refus de comprendre l'autre. Cela m'a fait peur. Je vis isolé dans une petite ville de province. Je vais régulièrement à Paris en touriste afin de me plonger dans la vie anonyme. J'ai coupé avec presque toutes les parades médiatiques et littéraires. Si l'on n'a pas créé des amitiés avant leur célébrité, les écrivains sont des êtres plutôt déprimants, foncièrement angoissés et égocentriques.

Les "absents", qui est le titre de l’un de vos romans, interviennent dans vos différents ouvrages. Comment se mêlent-ils à vos personnages, comment les influencent-ils ?
Les "absents" sont des héros romanesques. Ils deviennent circonscrits à ce que nous avons voulu qu'ils soient à un moment de notre vie. Lire Proust !!! Il faut se dépêcher de les garder présents avant que l'oubli ne les emporte. L'écriture peut ce miracle. Les romanciers ont une chance prodigieuse. Ils vivent plusieurs vies : le quotidien comme un chacun, le souvenir auquel ils redonnent toute son intensité, la vie qu'ils inventent aux inconnus qu'ils croisent. Inventer la vie est plus vrai que la copier.
On ne peut pas vivre avec les absents. C'est une affaire d'écriture, fantomatique. Hélas, les absents disparaissent peu à peu et, de toute manière, ils n'ont plus le pouvoir de susciter l'amour et le désir. Écrire une fiction est un acte désespéré, pour ne pas désespérer de la vie. Que se passe-t-il lorsqu'on continue à aimer un être qui vit un autre amour ailleurs ? C'est pire que d'aimer la mémoire d'un mort. On le dédouble : il y a celui qui est présent, bien banal, et celui qui se dissimule dans son propre passé et que nous rejoignons fugitivement. Cette connivence secrète est sans doute la fameuse madeleine de Proust. Encore lui !

Comment envisagez-vous la présence des morts dans chacun des vivants que nous sommes, pour un temps seulement ?
Grande question que la relation entre réalité et fiction. Tout roman est d'une manière ou d'une autre autobiographique. Mais pour le romancier la réalité est déjà de la fiction. Sinon, quel ennui ! En ce qui me concerne, je démarre mes livres en toute innocence : je crois que c'est pure (?) fiction, puis je me rends compte que mon vécu y pénètre malgré moi, j'insiste sur ce point. Le roman me signale bientôt des événements que j'ai voulu distancier. Plus simplement, je crois que je traite toujours le même sujet : un amour impossible à éterniser. Cela s'est traduit par des intrigues apparemment différentes. Je parle peu du simple événementiel. Je reviens toujours aux scènes-clés. Le baiser de la mère pour Proust ? L'impossible inceste ? Le paradis perdu ?

Le rapport au temps est prégnant puisque le passé intervient mais les relations amoureuses sont au cœur du roman. L’amour est-il le pilier autour duquel se tissent les vies ?
Nous écrivons contre l'inexorable fuite du temps. Le présent n'existe pour moi qu'après sa disparition. Quant à l'amour il n'est pas dans mes romans la reproduction de la réalité. Si je peux écrire sur l'amour c'est qu'il est déjà mort. Je le ressuscite par l'écriture. Les vies se construisent autour et à partir du désir. Qu'on le veuille ou non. Mais de nos jours l'amour fait peur. De plus en plus de personnes ne le vivent pas. Ils sont dans un compromis où presque toutes les existences (dans le même statut social) se ressemblent. D'où le goût des "fêtes" collectives et le refus de la méditation. L'individualisme n'est que matériel.

Vous situez le début de votre roman pendant la deuxième guerre mondiale. Quel rôle jouent les guerres dans votre œuvre puisque l’un de vos précédents romans parlait de la guerre d’Algérie ?
Les guerres dont je parle (je ne décris que leurs marges qui ont un rapport direct et intime avec des personnages), je les ai vécues. Deuxième guerre mondiale : j'avais quatre ou cinq ans. Mais ce qu'un enfant perçoit est immense. La guerre d'Algérie : j'y étais officier de surcroît, mais là aussi il ne s'agit pas de ce que je pensais de la guerre, ni d'une révolte (voir pour cet aspect le sublime livre de Zimmermann). Puis-je dire que j'y fus heureux ? Univers clos, loin de la vie ordinaire, mais surtout un paysage (le djebel) où le rêve s'amplifie. Je dois à la vérité de dire que j'étais en Algérie en 1960-62. C'était la fin. Et puis-je dire aussi, sans choquer vos lecteurs, qu'un homme qui aime les hommes est partout dans le désir. Il n'est ni raciste, ni xénophobe (à l'exception de ceux qui n'acceptent pas leur marginalité et voudraient être hétérosexuellement homosexuels !!!) La guerre est plus qu'un lieu clos c'est un temps clos entouré par la mort.

Dans Abel, vous mettez en scène un écrivain. Comment se mêlent l’autobiographie et la fiction ?
Abel est un roman à part. Je l'ai écrit dans un temps d'immense vacuité, de déprime. Je me suis raconté une histoire où mes fantasmes avaient libre cours. Je ne me suis posé aucune question. Je me suis retiré dans mon récit. Six mois après sa parution j'ai compris que dans cette fiction se trouvaient enfouies de très lointaines expériences. Il y a aussi (et cela est bien triste) le fait que je mourrai sans avoir été célèbre et si peu reconnu. Je paie de n'avoir pas cherché à écrire des livres sans danger. Mais c'est ainsi que j'ai été authentique.

Vous venez de recevoir Le grand prix du roman de la Société des Gens de Lettres. Quels sentiments avez-vous éprouvés à cette occasion ?
J'ai obtenu le Grand Prix du Roman 2007 de la SGDL. J'en ai été très heureux, comme j'avais été bouleversé par le Prix Renaissance de la Nouvelle. Mais je reste lucide. Le problème des auteurs de ma catégorie (les centaines qui écrivent sans provoquer une médiatisation qui n'a rien à voir avec la littérature ( exemple lamentable : l'artificielle zizanie créée entre Darrieusecq et Camille Laurens, le livre ô combien médiocre de Mazarine Pingeot, etc.), est d'être lu !!! Je savais qu'Abel était un roman réussi et que Place du Bonheur était un très beau recueil de nouvelles, mais sans des gens comme Alain Absire (qui m'apprécie et est honnête) qui ont su me faire lire, je n'aurais pas eu de Prix. Je crois que pour 10 à 20 auteurs qu'on met en scène chaque année, tous les autres écrivains sont ignorés.

Quels sont vos projets littéraires ?
Je suis en train de commencer un thriller. Attention ! à ma manière, c'est à dire la frénésie de décrypter ce que je crois être les mobiles ou les lâchetés de certains assassins. Toujours mon goût de la vie secrète et Immorale ?

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet 

Mise en ligne : Septembre 2007






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Véréna et les hommes





Les jours heureux