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En contrepoint, ses parents, Joël et Lili Rose élevés par leurs « vrais » parents souffrent aussi dans leur propre famille qui les étouffent ou qui sont injustes à leur égard. Les parents de Joël sont des Juifs originaires de Tchécoslovaquie. À la fin de la guerre, ils apprennent que leurs sœurs, leurs frères et leurs parents ne sont pas revenus des camps de la mort. Ce sont les cris de désespoir de sa mère qui réveillent et paniquent le petit Joël qui a cinq ans. Sa mère est si bouleversée qu’elle semble absente, ne câline plus ses enfants, ne rit plus avec eux. La grande affaire de Joël pendant toute son enfance sera de reconquérir l’affection de sa mère qui préfère son frère aîné et pour cela il ne ménage pas ses efforts : réussir ses études, réussir son éducation religieuse, battre son frère aux échecs. Il deviendra anthropologue dans l’université de Columbia. Lili Rose naît dans une famille protestante. Fille unique, elle devient la poupée de sa mère. Leur maison étant éloignée de la ville, Lili ne peut jouer avec ses amies et devient une enfant solitaire par nécessité. Quand elle rencontre Pétula, elle apprend à fumer, à flirter, à faucher dans les boutiques. « Peu à peu, elle se transforme en une structure vide, un robot. [...] Les garçons se servent d’elle, après quoi ils font courir le bruit qu’elle est facile, qu’on peut tout faire avec elle sans même mettre de capote, puisqu’elle prend la pilule. Quand ils ont fini de se servir de son corps, elle rentre chez elle et se gave de savoir. » À la fac, elle a le même comportement qu’au lycée « acceptant tour à tour des quantités ahurissantes d’homme dans son corps et des quantités ahurissantes de savoir dans son esprit. » Au fil des années la voix intérieure de Lili Rose s’apparente à un délire, une interminable litanie de critiques. Quand elle s’inscrit en littérature française, miraculeusement, les voix ne parlent pas cet idiome et elle peut souffler. Elle part étudier une année à Paris pendant la quelle les voix restent au loin. Elle est enthousiasmée par les théories féministes. Nancy Huston a déconstruit la chronologie linéaire du récit pour présenter l’histoire de chaque famille selon son propre fil conducteur. De telle sorte que le lecteur assiste à l’enfance de Joël et Lili Rose en même temps qu’à celle de Shayna. Les générations ne sont pas superposées mais placées à l’horizontale. On en perçoit d’autant mieux les fractures et les liens. Et, intercalé dans ces trois récits, le journal de Shayna qu’elle écrit à l’âge adulte. Ce journal est écrit en majuscules pour que le lecteur entende ses hurlements de rage lors d’un voyage en Afrique. Elle veut savoir ce « qu’elle porte dans le corps et dans l’âme qui vient d’ailleurs. » Dans ce roman très dense, il y aurait matière à écrire plusieurs livres, tant il aborde de nombreux sujets. Ces professeurs aisés restent éloignés des réalités qui ébranlent l’Amérique et le monde : la condition des citoyens pauvres, la guerre du Vietnam puis celle menée en Irak. Dans une vidéo sur le site de l'éditeur*, Nancy Huston raconte que pendant ses études aux USA elle n’avait jamais eu de cours sur l’histoire de l’esclavage. Une ignorance entretenue de génération en génération. L’écriture du récit rend palpable chaque émotion, force le lecteur à être en empathie avec les personnages attachants, malgré ou grâce à leur fêlure. Le style nerveux et concis mène l’intrigue tambour battant. Voici Shayna interrogeant Aretha, la sœur de sa mère : Nadine Dutier (15/03/21) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Mars 2021) 320 pages - 21 € Babel (Janvier 2023) 320 pages - 9,40 €
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