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Maurice GOUIRAN


La nuit des bras cassés


Il s’agit de la réédition du premier polar de Maurice Gouiran et déjà l’atmosphère, qui nous a séduits dans les suivants, est là qui nous attrape dès les premières phrases. Dans ce café de l’Estaque, le « Beau Bar », au comptoir comme dans la salle, avec ses habitués et ses consommateurs de « petit jaune », allumés à l’occasion, ou allumeurs eux-mêmes au moindre évènement !

Et cela commence fort :
« – J’ouvre le frigo et qu’est-ce que je vois ? Un black, une tronche de black qui me sourit.
– Dans ton frigo ?
– Une tête de black ?
[ …]Ils suivaient le récit de Freddy bouche bée et en arrivaient même à négliger leurs verres de 51. »

C’est le choc ! Et très vite nous apprenons que le même « colis » a été envoyé aux deux frères de Freddy. À Ben, qui habite New-York, et qui va découvrir sur la table de nuit de sa chambre d’amis, « La tête, yeux entrouverts, était ornée d’une fleur dans les cheveux et – plus étrange encoreun morceau de sparadrap rose barrait la bouche. Un bristol complétait ce charmant tableau avec un message sibyllin "Il faut rendre à César..." » et à Giulio, à Rome, qui à son retour de voyage trouve dans son lavabo : « La tête d’un homme de couleur, posée proprement, avec une fleur dans les cheveux noirs, une carte de visite et les yeux clos par des morceaux de sparadrap. » Et puis surtout, ce message peut-être plus complet, mais tout aussi incompréhensible : « Il faut rendre à César ce qui est à César. Toi et tes frères avez tout cela. À bientôt… »

Les trois frères Asquaciati sont ainsi désignés. Ils doivent donner… ou rendre, des biens qui seraient encore apparemment en leur possession, cachés ? Or, ils n’ont aucune idée de ce dont il s’agit, et donc ce qu’il va falloir découvrir, car la menace est là. Pour ce faire ils vont devoir remonter le temps et interroger leur histoire familiale. Comprendre alors que le père Ubaldo après la défaite de Mussolini à qui il avait voué une certaine admiration et soumission, avait certainement mélangé trafics, mafia et œuvres volées, puisque cinquante années plus tard, quelqu’un interpelle ainsi la descendance. « Mon grand-père était alors farouchement fasciste. Il côtoyait le Duce tous les jours. Mon père était lui-aussi, converti à cette religion noire. »

Et puis l’oncle des trois frères – « L’oncle Ermenegildo ne me disait rien sur ses combines. » –, cet oncle qui avait été contraint d’émigrer aux États-Unis car ayant épousé Sylvana dont les parents étaient communistes – « C’était la fin des années vingt. Mussolini déportait certains opposants vers le sud. Il ne pratiquait pas l’extermination dans les camps comme son compère allemand mais plutôt la vexation et l’éloignement. » –, cet oncle avait été assassiné en 1975, après avoir fait fortune et invité son neveu à le rejoindre à New-York. « Sa fin montre qu’il était lié à la mafia ».

Toute l’ingéniosité des frères va être mise en œuvre, pour découvrir ce qui a été volé, et à qui, et ce qu’il en reste. De sombres personnages vont apparaître, du passé jusqu’au présent, et nous découvrirons le sens de ces trois têtes noires exposées ainsi et quel en veut être le symbole. Des tableaux volés, de louches trafics, reventes ou bénéfices occultes, s’agirait-il de tableaux de Gauguin, Cézanne, ou autres esquisses ? Les trois frères, héritiers de ce qu’ils vont commencer à comprendre, avec quelques aides obscures et une certaine ingéniosité vont-ils trouver et éviter les drames ? N’oublions pas la belle équipe du « Beau Bar », RoRo, Luis, Mehdi, qui écoute, interprète et veut aider… et aussi leurs coups de gueule, ou de chance, leurs petites débrouilles.

À travers cette fiction, Maurice Gouiran, révèle ici, comme il le fera plus tard dans ses autres romans, combien il est important d’indiquer, d’une façon presque légère à travers ses personnages de fiction, ce qui a pu être honteux et censuré par une histoire qui se rhabillerait plus dignement !

Seulement là encore, notre auteur va nous promener et, tout en jouant avec cette réalité sociale et historique, maintenir un suspense. Son écriture est déjà visuelle, quand elle n’est pas odorante, et elle peut aussi être explicite tout en laissant un nuage trouble pour nous tenir sous le charme, sans oublier les petits « coups » d’humour et de langage, local ou non !

Il y a donc l’histoire matinée de mafia, d’hommes mystérieux et suspects de haut niveau, il y a les trois frères aux vies et aux tempéraments différents, l’histoire de leurs ascendants, et il y a les encarts philosophiques et réflexions de l’auteur.
Et puis, il y a ces « bras cassés » du Beau Bar, il y a la mer, les Calanques, l’Estaque, la garrigue…
Et il y a surtout Maurice Gouiran ! Et ça…

Anne-Marie Boisson 
(22/05/19)    



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Noir & polar










Editions Jigal
(Février 2019)
280 pages - 9 €










Maurice Gouiran,

auteur d'une bonne trentaine de romans, voit désormais ses livres sélectionnés dans la plupart des prix du Polar.

Bio-bibliographie
de Maurice Gouiran
sur wikipédia




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