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Laurent GAUDÉ

De sang et de lumière

« Je veux une poésie du monde, qui voyage, prenne des trains, des avions, plonge dans des villes chaudes, des labyrinthes de ruelles. Une poésie moite et serrée comme la vie de l’immense majorité des hommes. Je veux une poésie qui connaisse le ventre de Palerme, Port-au-Prince et Beyrouth, ces villes qui ont un visage de chair, ces villes nerveuses, détruites, sublimes, une poésie qui porte les cicatrices du temps et dont le pouls est celui des foules. »

 

D’entrée Laurent Gaudé donne le ton.
Les mots sont
            Vieux
                Comme la souffrance des peuples.

Il y a des vies
            Entières,
Passées
            Sans jamais connaître
            Répit
            Ni lumière.     

 

C’est bien une poésie de sueur, de sang et de cicatrices que dit Laurent Gaudé, car l’oralité y est forte. C’est le chant de la peine du présent quotidien et de l’histoire.
Pour l’histoire il y a la traite des noirs.

Il y a cet arbre sur la terre d’Afrique,
À quelques pas de la grève,
Qui sait, depuis longtemps, ce qu’est le goût du sang
[…]
Lui, comme tous les autres, choisis çà et là, le long de la côte, pour leur circonférence et leurs branches majestueuses,
Sont des arbres de l’oubli.
[…]
« Hue, le nègre, dépêche-toi »,
Coup de poing massue
sur les épaules
Les oreilles
Ou claquement de fouet
Qui cisaille les cuisses.
Il le frappe.
« Tourne »
Et le fouet claque.
Il sait qu’il va devoir le faire.
Il sait qu’il ne pourra pas se soustraire à cet ordre.
« Tourne,
Comme tes frères ont tourné avant toi,
Comme ton peuple tout entier,
Tourne »,
Il abdique,
Le fouet lui a balafré le dos,
Il est à bout de force,
Alors il tourne,
Comme des milliers d’autres avant lui…

Ce sont des poèmes longs qui racontent la durée de la peine quotidienne comme la sueur du sud et du Moyen-Orient, des villages, des bidonvilles ou encore des camps de réfugiés.

Je te reconnais, fille —
Même si je ne sais plus dire ton nom.
J’ai eu tant d’enfants,
Qui m’ont usée de tant de tétées, de tant de fièvres, de diarrhées, de faims que je n’arrivais pas à calmer.
Toute ma vie, des enfants accrochés à mes seins, à mes bras,
Jouant dans mes jambes,
Dormant sur mon ventre.
Tes sœurs, tes frères,
qui sont grands maintenant et ne sont plus jamais revenus.
Tout ce que j’ai porté sur ma tête, aussi,
Des bidons d’eau,
Des sacs de fruits,
Des choses à vendre, à acheter,
Matelas,
Cercueils,
Roues,
Bassines
Nous avons fait tenir le monde entier sur nos têtes…

Ou encore :

Plus tard,
Il a fallu se relever
Et construire le camp.
[…]
La vie s’est organisée.
Nous étions bien,
Même sans rien.
Mais le temps a passé,
De jour en jour,
De semaine en semaine,
Et l’hiver est venu.

Nous sommes là,
Silencieux,
Depuis de longues heures déjà,
Sous le ciel du matin,
[…]
Et nous écoutons le vent, qui fait trembler la toile des tentes
– Camp de bâches blanches en longues colonnes monotones,
Le vent qui siffle
S’engouffre partout
Et nous rend fous.
Nous l’écoutons pour nous habituer à sa présence,
À son haleine,
Car nous savons – nous l’avons compris dès le premier jour de novembre où il est apparu—
Qu’il serait notre plus grand ennemi…

De sang et de lumière est un recueil de longs poèmes, sans rimes, avec raison et allitérations, qui disent avec cœur les maladies de notre monde.

Michel Lansade 
(26/12/19)   



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Poésie








Actes Sud

(Novembre 2019)
112 pages - 6,50 €

















Laurent Gaudé

Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur:
www.laurent-gaude.com




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