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Guillaume SIAUDEAU


Pas trop saignant


Joe, jeune homme employé aux abattoirs, n'en peut plus de son travail. La nuit, les cris des pauvres bêtes et leur sang hantent encore ses rêves. Le soir, pour oublier, il écoute de la musique. « Si certains instruments rappellent le cri du cochon, le beuglement de la vache ou le bêlement du mouton, il en est quelques-uns pour remplir parfaitement leur fonction, et parfois la douce voix d'une diva parvient à liquider ses peurs. » Son jour préféré est le samedi quand il se rend au rendez-vous de Joséphine, l'infirmière au sourire lumineux qui lui fait sa perfusion hebdomadaire pour une maladie chronique jamais nommée. Joe est un garçon "différent".
Son seul ami, Sam est « un môme que la vie n'a pas gâté. Elle lui a pris ses parents et lui a rendu à la place deux vieux cons qui confondent les mains avec les lèvres. » Ils habitent tout près l'un de l'autre et Joe, qui connaissait ses parents, se sent le devoir de lui adoucir la vie comme il le peut. Avec des bonbons souvent, de l'attention et de l'écoute.

Un jour, un reportage télévisé sur un couple de retraités qui plaquent tout et vendent leur maison pour acheter un camping-car afin de « visiter le monde et ne pas mourir idiot », sert de déclencheur.
« Son père et son grand-père ont passé toute leur vie ici, et Joe sera le premier grain de sable dans l'engrenage. » Il décide de changer le cours des choses, fauche une bétaillère avec son chargement de vaches, passe prendre Sam et accumule les kilomètres entre l'abattoir et eux pour « une journée avec le bonheur à la hausse ».  Une fugue comme un départ en vacances.
Évidemment, l’alerte est donnée par les tuteurs de Sam et la police est à leurs trousses.

Le jeune homme profite du voyage pour revoir un ami d'enfance, Jacques, chez qui ils passeront la nuit. Une halte chaleureuse et détendue qui leur permet de filer serein le matin vers la montagne par les petites routes sinueuses.
Pendant ce temps, les grands moyens ont été déployés, des centaines de flics sont sur le coup et le portrait du ravisseur et de son otage sont diffusés à la télé pour appel à témoignage. 
C'est loin de tout, dans une vieille cabane à la toiture effondrée qu’ils trouveront refuge après avoir roulé toute la journée pour libérer définitivement les vaches dans leur milieu naturel. Autour d'un bon feu, ils partagent les dernières provisions laissées par Jacques tandis que l'orage gronde. Une  soirée qu'ils finiront les yeux dans les étoiles vaincus par le sommeil. 
Le lendemain, ils seront rejoints par Robert, un vieux paysan rayonnant de bienveillance et bien seul depuis la disparition de sa femme. Attendri par leur histoire, il leur propose un accueil discret mais plus confortable dans sa vieille ferme en bord du village et les prend quelques jours sous son aile. « Dans cette cavale, il joue sa vie à pile ou face. La pièce est en train de tourner en l'air et elle retombe au ralenti. [...] Personne ne sait quelle est la main qui l'a lancée ni celle qui la ramassera. »

 

Guillaume Siaudeau nous offre ici un road-movie rythmé où rêve et réalité se côtoient puis s'enchevêtrent, où l'humour et la poésie disputent la première place à l'émotion avec un goût prononcé pour la formule qui fait mouche.
« L'un des deux agents a dû regarder pas mal d’Inspecteur Harry. Il interroge comme on passe un casting. [...] La porte du commissariat retentit comme le clap de fin. – On la garde ! – pense Jacques avec amusement en regagnant sa voiture. »
 
On se laisse vite prendre par cette histoire magistralement habitée par Joe, Jacques et Robert, des personnages magnifiques et plus atypiques les uns que les autres, pétris d'humanité, de fantaisie et de générosité. Et, sans y croire vraiment et contre toute probabilité, on se prend à espérer un dénouement favorable à cette fuite vers le bonheur.  « Les rêves n'ont aucune preuve, aucun alibi. Ils vendraient père et mère pour faire croire au plus triste des hommes que le bonheur est à portée de main. »
L'ombre irisée de la fée Joséphine accompagne le jeune homme jamais grandi qui à son tour veille sur Sam dont les questions simples et naïves insufflent un vent de fraîcheur dans le récit.
« Certains jours c'est la lumière qui guide les pas, d'autres jours, c'est le mot d'un enfant. »

Un court roman sur la vie, les petits bonheurs et les peines inconsolables, sur la fuite sous toutes ses formes, impeccablement construit, porté par une langue imagée, simple et efficace, que l'on dévore d'une traite avec l'ombre d'un sourire salé de larmes sur les lèvres.

Si les deux précédents romans de Guillaume Siaudeau m'avaient déjà séduite, celui-là m'a plus émue encore et longtemps après la lecture, le fantôme de Joe et son histoire continuent à m'habiter. Il y a derrière ce superbe livre un auteur original et littéraire en diable avec lequel il faut dorénavant compter.
Alors, précipitez-vous chez votre libraire, je gage que ce roman-là sera l'un de vos bonheurs de lecture de cette rentrée littéraire.  

Dominique Baillon-Lalande 
(24/10/16)    



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Lectures








Alma Éditeur

(Octobre 2016)
144 pages – 16 €



Pocket

(Mars 2019)
144 pages – 5,95 €





Guillaume Siaudeau,
né en 1980, a déjà publié de nombreux textes.
Pas trop saignant
est son troisième roman.



Bibliographie complète
sur le blog de l'auteur :
La méduse et le renard









Découvrir sur notre site
les précédents romans
de Guillaume Siaudeau :


Tartes aux pommes
et fin du monde



La dictature des ronces