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Guillaume SIAUDEAU


Tartes aux pommes et fin du monde


Dans une ville de province un jeune adulte peine à se faire sa place.
Il faut dire que ses débuts ne se sont pas passés sous les meilleurs auspices : sa mère a quitté le domicile conjugal en abandonnant ses deux enfants encore jeunes sous la responsabilité du père. "Le départ de maman a eu quelques effets sur le comportement de papa. Lui a raccourci un peu le sourire, a fait trembler ses mains et rendu certains de ses gestes plus approximatifs." Apparemment l'homme en pleine dépression noie son chagrin dans l'alcool et n'hésite pas à cogner quand il est contrarié. Et il l'est souvent.
Autre personnage mythique de la famille : le vieux bâtard à demi labrador mort d'épuisement, dont le père a "jeté le cadavre du haut de la falaise en murmurant : maintenant, envole-toi, Bobby." Depuis, les enfants s'obstinent à mettre des ailes en carton aux divers chiens qui se sont succédé chez eux. "J'ai toujours pensé que papa s'était mis à boire parce qu'il n'avait jamais trouvé aucun chien capable de voler. Une succession de perruches ne sachant pas ramper aurait probablement provoqué chez lui les mêmes symptômes. Fallait-il que l'alcool ait un sacré pouvoir pour apaiser un homme qui attend depuis toujours de voir voler son chien."

A dix-neuf ans, le jeune homme prend son indépendance en partant pour l'armée. Une année que cet être, plus contemplatif qu'homme d'action, subit sans goût mais sans drame.
De retour dans la vie civile, il se lance dans des petits boulots, faciles alors à trouver et ingrats à effectuer, pour payer sans trop de peine le loyer de son modeste appartement. Par chance, la propriétaire des lieux est plutôt sympathique. Elle va même jusqu'à préparer pour ce gentil garçon un peu solitaire les meilleures tartes aux pommes qui soient. D'où la première partie du titre du roman.

Enfin, un beau jour, grâce à l'inexpérience d'une caissière qui s'échine à trouver le code-barres sur une boîte de maquereaux (ceux que le narrateur apprécie tout particulièrement et achète régulièrement), il rencontre Alice. Le début d'une histoire d'amour simple et partagée. "Le genre de fille qui vous accueille cheveux ouverts et dont les rétines font deux petits parterres de terreau fertile où planter vos yeux."
"Sauter dans son cœur, c'était comme prendre un taxi et rouler toute la nuit. Chaque fois que je voyais Alice, je me moquais bien de savoir où son cœur voulait m'emmener. Souvent nous n'allions nulle part. […] J'apprenais à voyager en faisant du surplace autour d'elle et c'était quelque chose de vraiment grand."
Dans le même temps il se fait sur son lieu de travail un ami, Arny, un collègue un peu étrange qui décharge les palettes de conserves pour animaux avec lui. Un fou de maquettes d'avion "qui n'avait jamais pris l'avion à cause du vertige".
Le jeune homme commence à apprécier cette vie qui ressemblerait presque au bonheur...

Mais cela ne dure pas. Arny, cumule les retards et les manquements et le patron le licencie sans états d'âme du jour au lendemain. "Arny se rangeait plutôt du côté des moineaux et des avions de plaisance que des aigles et des avions de chasse. Et ce monde avait définitivement décidé de faire la part belle aux rapaces."
Ils se revoient un peu, en compagnie d'Alice parfois qui semble beaucoup l'apprécier, mais l'homme, dépressif, finit par se pendre.
Sans que l'amoureux naïf anticipe quoi que ce soit, c'est ensuite Alice qui rompt brutalement leur relation. Ce garçon tendre et gentil mais routinier, passif et sans ambition ni fantaisie, finit par l'ennuyer.
"La solitude s'était pointée à l'improviste le sourire en coin et maintenant me tapotait sur l'épaule pour me chuchoter des choses bizarres."
"La vie était rythmée par ces deux mots : aimer et perdre. Aimer le plus longtemps possible, et puis un beau jour tout perdre. J'allais devoir réapprendre à aimer pour réapprendre à perdre. Pour l'instant je me contentais d'écouter la pluie en regardant mes mains."
Le garçon tente bravement de compenser ces abandons par du chocolat, d'entretenir son équilibre par le yoga, mais les événements se liguent contre lui. Il perd son travail et se retrouve expulsé de son logement par la propriétaire contrainte, crise oblige, de vendre. Se passer de tarte aux pommes n'est pas la moindre des contrariétés...
"Pour que le monde tourne bien rond, il aurait peut-être tout simplement fallu que toutes les ruptures aient le goût sucré d'une tarte aux pommes."
Voici donc l'enfer ou la fin du monde promise dans la seconde partie du titre du roman.

Le héros au fond du trou cherche secours, sans succès, auprès d'un psychothérapeute avant de trouver enfin le remède qui lui convient : il achète un flingue. Un objet fort en sensations qu'il ne quittera plus. "Je l'aime autant qu'Alice", dit-il. "C'était le soir surtout qu'il faisait son effet. Je regardais la télé avec lui bien installé dans le prolongement de ma main, ne le posant sur mes genoux que pour manger un peu de pop-corn. Avant de me coucher, je le posais délicatement dans son tiroir, à côté de ses balles sur son écrin de velours, puis je m'endormais assuré qu'il serait encore là au petit matin."

Le roman composé de courts chapitres, se présente comme une succession de saynètes, tranches de vie de l'enfance ou du présent, prises toujours par le côté, avec décalage.
Le narrateur, jamais prénommé, est un jeune homme typique de sa génération avec les questionnements qui vont avec. Cela confère à l'ensemble un caractère général propice à l'identification.
La singularité de ce récit, qui pourrait s'intituler "le monde et moi", réside dans le ton léger et distancié de ce doux rêveur face à l'adversité à laquelle il est confronté (alcoolisme du père, divorce des parents et quasi-absence de la mère, rupture sentimentale ou suicide de son ami). L'auteur témoigne d'un vrai talent pour faire sourire et rendre tendres et presque gaies les choses tristes. Mais, la force de l'ensemble repose sur le fait que le jeu avec la réalité n'est jamais gratuit. Aucune superficialité dans tout cela, de la pudeur plutôt, et une vraie réflexion sur la vie, l'ennui, les rapports aux autres, la difficulté à être.

L'écriture de l'auteur est simple (narration à la première personne, phrases courtes) et met le lecteur de plein pied dans le récit. Sa caractéristique principale est bien évidemment (bon titre ne saurait mentir) l'humour. Humour noir ou grinçant, humour de potache, humour de comptoir, tout à la fois, conjugués à un sens poussé de l'image et de la formule : "J'ai promis à Alice de l'emmener en vacances, pour voir si les vaches avaient l'air moins con en vrai que sur les cartes postales." "L'inconnu était une belle direction. Oui, en allant vers l'inconnu, on limitait les chances de se tromper." "La vie, la vraie, faisait toujours en sorte de me faire hésiter jusqu'à lui sauter au cou et lui avouer que je l'aimais."

Un premier roman prometteur qui fait sourire, offre un bon moment de lecture, et pourrait être plus sérieux qu'il ne le paraît de prime abord. Une patte originale qui pourrait s'affirmer au fil des publications. À suivre.

Dominique Baillon-Lalande 
(22/08/13)    



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Lectures









Alma Éditeur

(Août 2013)
140 pages – 14 €




Pocket

(Août 2015)
114 pages – 5,30 €








Guillaume Siaudeau,
né en 1980,
a déjà publié de nombreux textes mais Tartes aux pommes et fin du monde est son premier roman.



Bibliographie complète
sur le blog de l'auteur :
La méduse et le renard





La librairie Mollat
a réalisé
une vidéo
où l'auteur
présente son roman.