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Pascale GAUTIER

La clef sous la porte


Le roman met en scène quatre personnages qui ne se rencontreront jamais mais qui ont comme point commun d'être des quinquas à l'étroit dans leur vie. Chacun a sa manière, piégé dans les mailles de son quotidien et de sa famille, étouffe, animé d'une furieuse envie de tout plaquer.

Il y a José, un célibataire misanthrope aujourd'hui retraité, qui sort peu, et passe presque exclusivement son temps devant la télé.
 « Il n'est inscrit à aucune association, ne fait pas de bridge, ne va pas à la chorale, n’adhère pas non plus à un club de marche. Toute cette agitation du troisième âge l'indiffère. Il n'a aucune envie de voyager. Quand on a la télé, voyager c'est vraiment n'importe quoi ! À quoi ça sert d'aller voir sur place ce que tu vois, en mieux, dans ton salon ? Il ne fait pas les soldes. Il n'a pas la carte G20, Monoprix et Cie. Il faut savoir vivre un peu. Tous ces produits ça fait des déchets. Il l'a vu à la télé, il existe dans le Pacifique Nord, entre Hawaï et la Californie, un effroyable océan de plastique, grand comme six fois la France. Toutes les saloperies qu'on jette et qui se retrouvent à flotter, au nez des poissons. Il le sait, José, qu'à force de s’appauvrir en s'enrichissant, l'homme est condamné à se dévorer lui-même. » « Un homme informé en vaut deux. »

Un peu plus jeune, Ferdinand, placardisé au travail, ne supporte plus son ado de fille qui le provoque sans cesse et sa sotte de femme qui s'est entichée d'un con, patron d'une supérette, plus vrai que nature. Cette maison confortable qu'il aime, qu'il a mis du temps et de la peine à acquérir et à aménager, semble se refermer sur lui comme un tombeau.
« En fait, ils sont restés ensemble parce que c’était facile. » « Quand elle sourit, Martine a l'air encore plus niais que d'habitude. Le bonheur rend plutôt couillon. Et déjà qu'elle n'était pas franchement douée de nature, là, c'est juste irrespirable. [...] Il a l'impression qu'il va exploser, direct, dans la cuisine équipée ! Un ange essaie de passer. La bouilloire siffle. Martine fait couler l'eau dans la théière. Les gestes de tous les jours. Les plaisirs minuscules. C'est cela qui nous protège. Il respire profondément et ferme les yeux. » « Il est fatigué, Ferdinand. Il aimerait s’exiler. »

Auguste, la cinquantaine, se lasse de jouer au petit dernier sur lequel la fratrie se décharge puisque son métier de prof lui laisse du temps et qu'il n'a pas de famille à charge, quand il faut deux fois par ans véhiculer les parents de leur maison d'été à celle d'hiver. C'est un homme brave, faible, lassé de son métier et pris au chantage affectif permanent par une mère tyrannique et un père soumis.
« Pas de guerre, pas d’Occupation. Le quotidien. Le boulot. Les vacances. Le métro. Le dodo. L’être humain a rétréci. C’est peut-être ça le progrès. Devenir tout petit petit. »
« Auguste n'en revient pas comme la surdité est relative chez les vieux. Ils ne captent pas la voisine du dessus, mais n'ont aucun problème quand ils disent des horreurs. [...] Auguste respire un grand coup. Ça ne sert à rien de vouloir convaincre sa mère. Il vaut mieux laisser glisser. Il ne fera jamais le poids. [...] Il est comme il est Auguste, c'est ça qu'il est en train de comprendre. Et son histoire, même minuscule mérite le respect. Ce n'est pas rien une vie. C'est de la fatigue. Il faut participer. On ne peut pas vivre tout seul au milieu de nulle part [...]. Le monde est en train de changer ? Mais il a toujours changé le monde ! Qu'est-ce qu'on nous fatigue avec ça ! [...] Pourquoi en faire une montagne ? Plus rien ne changera quand il sera dans son cercueil. C'est la seule assurance même si Jeanne-Marie pense le contraire. La religion, par contre, non merci ! Comme la politique ! Encore que, s'il s'écoutait il voterait très très à gauche, Auguste. Il faut réinventer le communisme qui en a bien besoin. [...] en face de lui, Néné et Jeanne-Marie, qui votent très très à droite, piquent du nez sur leur chaise. »

 Agnès, célibataire de quarante ans, se tient à distance de sa famille. Elle vit seule à Paris. « Elle a trop vu ses parents et l’horreur qu’était leur quotidien à deux. Elle a au moins l’avantage d’avoir l’horreur du quotidien toute seule ! ». Elle a gardé peu de contact avec ses trois frères (une globalité sans prénom qu'elle distingue par leur numéro dans la fratrie). Ils l’insupportent. « Elle s'en tape de la retraite, des enfants, de la maison. Le futur n’existe pas. Elle est contre la propriété. Elle est contre les vieux. Elle est contre les enfants. Elle ne fera pas comme eux tous et pas comme ses frères. »
Sa vie sentimentale est une succession d'aventures bancales avec des hommes mariés et quand la mère dont elle s'est beaucoup occupée, atteinte de la maladie d’Alzheimer, vient à agoniser à l'autre bout de la France, c'est justement le jour où elle doit voir son amant Antoine.
« Elle en a assez, de tout, de tous et d'elle-même. Elle voudrait être en colère. Elle le sait, malgré tout ce qu'elle a pu dire, elle ne s'est toujours pas détachée de ses parents. Elle est devenue, lentement, laborieusement, une vieille petite fille. Et voilà qu'après son père, sa mère est en train de passer l'arme à gauche ! Ils sont gonflés ! Ils lui ont pourri la vie, ils ont gâché son enfance, son adolescence, tout, et, en plus, il faut maintenant assister à leur disparition ! Elle voudrait bien casser la gueule à quelqu'un, à Antoine par exemple, ou à son supérieur hiérarchique qui est pire que nul dans le genre. Quand on est violent, on existe ! »

Chacun va alors au fil des chapitres se débarrasser du carcan dans lequel il est ou s'est enfermé, mettre à sa façon la clef sous la porte, choisir la liberté et tourner la page.

Un roman sur la relation parent/enfant et la famille, sur l'émancipation et la liberté, profondément ancré dans notre époque, qui s'incarne dans quatre personnages saisis à un moment charnière de leur vie lors d'une crise où il ne peuvent plus continuer à abdiquer d'eux-mêmes et à faire semblant. 
« Pourquoi la majorité aurait-elle raison ? Pourquoi, parce que tout le monde veut vivre comme on nous l’ordonne depuis la naissance, ce serait ce qui serait bien ? … Et il faut sacrément d’énergie quand on sait qu’on est minoritaire pour se redresser et refuser. » (Auguste)
Un jour, semblable aux autres, la coupe est pleine et les choses basculent. Et ces antihéros, terriblement normaux, très humains en somme, commencent à se débattre comme ils peuvent pour ne pas se laisser engloutir et périr à petit feu sous le joug des parents, épouses, frères ou enfants. La machine est en marche et il ne leur restera alors qu'à oser prendre leur envol. 

Mais malgré la violence de la crise perturbant ses protagonistes, jamais les saynètes mises en scène par l'auteur ne virent au désespoir. Les personnages sont plus truculents les uns que les autres et c'est, au contraire, dans une fresque terriblement vivante, emplie d'appétit de vie, d'énergie et d'espérance que l'auteur, avec une légèreté et une distance gentiment moqueuses, nous embarque.
Et s'il y a beaucoup de tendresse dans tout cela, l'auteur n'en dédaigne pas pour autant une certaine et saine causticité (férocité ?) dans ses descriptions et une volonté sensible de nous faire rire.

Le style intègre des dialogues, des clichés, des petites phrases lapidaires ou des traits d'humour qui accentuent le caractère vif et dynamique de l'ensemble.
« S'il faut toujours penser qu'il y a pire pour se dire que ça va bien, c'est que quelque chose cloche sérieusement. » (Ferdinand)
« Il arrête de ne pas vivre en attendant de ne plus vivre. » (Auguste)
« D'un seul coup c'est comme s'il avait vraiment compris qu'il n'y avait vraiment rien à comprendre. La vie est légère. La vie n'a aucun sens, à par celui qu'on arrive peut-être à lui donner. Et encore. » (Auguste)
On ajoute à l’exercice une pincée de références littéraires avec des clins d’œil de Pascale Gautier à ses maîtres (Breton, Queneau…) et le résultat, sans perdre de sa profondeur ni d'émotion, devient proprement jubilatoire pour le lecteur. 

Un portrait réaliste de notre société et de la difficulté d'y devenir soi-même, du poids de l'âge et des désillusions pour parvenir à le rester et à continuer d'aller de l'avant, qui se double d'un éloge fort à la liberté.
Un roman polyphonique rythmé, divertissant et touchant.

Dominique Baillon-Lalande 
(08/10/15)    



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Joëlle Losfeld

(Août 2015)
192 pages - 16,50 €















Pascale Gautier,
directrice littéraire,  a déjà publié une douzaine de livres et obtenu le Prix Renaudot Poche en 2012 pour Les vieilles.



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