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Le recueil de nouvelles s'ouvre sur une citation de Beckett dont l'empreinte marque ces histoires de solitudes, d'errances, d'obstination, qui flirtent avec l'absurde. S'ensuivent quatre quêtes, quatre récits à l'atmosphère post-apocalyptique, quatre contes sur le fil, en équilibre face à des gouffres où le moindre pas de travers mènera les protagonistes vers l'abîme. Dans la première nouvelle, on suit Milton et Prez, le jour du grand
départ, sacs prêts et carte en main, vers un ailleurs qu'ils espèrent
meilleur. Mais pour atteindre l'océan, il leur faudra traverser une ville
morte et silencieuse, comme désertée, et surtout franchir gouffres
et précipices qui s'ouvrent devant leurs pas. « N'empêche,
il avait dit que le monde commençait à se dissoudre. À
se creuser pour de bon de l'intérieur. Il avait parlé de la période
des gouffres. C'est ça qu'il avait dit, hein, Prez. Qu'on entrait dans
la période des gouffres. » Tout autour d'eux n'est que
ruine et désolation mais le canal puis la mer les attendent et, obstinément,
ensemble, ils avancent. Dans La Conjecture d'Olga, trois hommes, dont l'un assez mal en point que les autres doivent soutenir pour l'appel, vivent prisonniers dans un camp. De la cause de leur détention, nous ne sauront rien. Mais ici, se trouve aussi enfermée une célèbre mathématicienne, Olga Chaikhovskaïa, que le malade admire tout particulièrement, cherchant à élaborer la démonstration d'un de ses théorèmes. Quand, griffonnant toutes les nuits sur son petit carnet, il y parviendra enfin, la femme sera décédée. En dernier hommage, c'est de nuit que les trois hommes iront dans le cimetière jouxtant le camp pour déposer ce carnet dans la terre sèche de la tombe de cette femme que son génie avait fait échapper à la fosse commune. Dans la dernière nouvelle, un homme s'efforce de déplacer à la lumière des réverbères son automatophone, un instrument imposant de la famille de l'orgue de barbarie. Arrivé sur la place centrale, il va tourner la manivelle et commencer à jouer. Pour qui ? Puisqu'il n'y a pas un chat dans les rues pour écouter ses mélodies. Seuls des rats... Dans chacune de ces nouvelles, l'environnement est hostile et des hommes errants,
tracent la route à la recherche d'un autre monde ou d'eux-mêmes.
Des personnages seuls ou au contraire soudés entre eux, avec des prénoms
extraits de l'univers de Beckett, lucides, obstinés, flegmatiques, dignes
mais décalés comme les héros du grand maître lui-même.
Dans ces textes, Antoine Choplin distille l'angoisse et dépeint des
zones de non-droit où tout ce qui est humain semble en voie de disparition.
L'atmosphère y est mystérieuse, la tension générée
et la ''bizarrerie'' des personnages nous tiennent en éveil, les territoires
dévastés et les gouffres que l'auteur dépeint résonnent
étrangement avec l'écho des nouvelles qui nous parviennent quotidiennement.
Rien de réaliste dans tout cela et pourtant, ces personnages fragiles,
vulnérables, dépassés, à peine esquissés
dans un contexte de fin du monde, finissent par rencontrer nos propres angoisses
et à nous devenir proches par leur obstination à espérer,
leur humanité, leur fraternité qui éclairent l'obscurité.
L'écriture d'Antoine Choplin est discrète, en creux et en retenue, entre non-dit et suggestion, tour à tour incantatoire, poétique, ou sèche et précise. « En chaque trajectoire, il y a toujours une part d'énigme
irréductible » explique lors d'une interview à France-Culture
celui qui se considère « juste comme un passeur ».
Dominique Baillon-Lalande (11/06/14) |
Sommaire Lectures La fosse aux ours (Février 2014) 132 pages - 16 €
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