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Mika BIERMANN

Trois femmes dans la vie de Vincent Van Gogh



Après avoir exploré « Trois nuits dans la vie de Berthe Morisot » puis « Trois jours dans la vie de Paul Cézanne », l’auteur se mesure au peintre dont les biographies sont les plus nombreuses. Que dire de neuf ? Avec beaucoup d’imagination et autant de culot, il parvient à inventer des jeunes filles et des femmes pour ponctuer trois tranches de la vie du peintre. Et chacune de ces tranches de vie se situe dans des paysages différents, des saisons et des lumières distinctes.

La première se prénomme Saskia, elle garde les oies et n’a pas sa langue dans sa poche. Elle est même effrontée, impudique et dit des gros mots. C’est trop pour le jeune Vincent qui n’a que dix ans mais a déjà intégré la morale puritaine de son pasteur de père. Dans cette partie, nous sommes en été. La jeune fille a chaud, elle s’est dévêtue pour se rafraîchir dans la rivière. Vincent l’aperçoit et ne peut s’empêcher de l’observer. Il n’a jamais vu de femme nue. Mais il craint que Dieu ou sa famille ne le punissent. « Dieu va lui envoyer un éclair sur l’occiput. Si sa famille l’apprend, c’est pire, ils vont le vendre à un gitan, ou le faire rentrer dans l’armée. » En battant en retraite, il se prend les pieds dans les ronces, puis dégringole pour finir sur la donzelle. Il se blesse et Saskia lui confectionne un bandage autour de la tête.
Cette scène n’est que prétexte pour évoquer l’été dans le Brabant et la description de ces paysages fait surgir les tableaux que Van Gogh a peints dans ce décor.
« Le pays est plat comme un parchemin, des haies de peupliers plongent vers l’horizon, des pommiers rabougris gesticulent. Au-dessus, fixé par un artisan habile, s’étend un ciel bleu. La couleur est uniforme et soutenue, c’est un son de cor que les habitants du Brabant du Nord n'entendent pas souvent, ils sont plus habitués au roulement du tambour de la pluie ou au murmure de la grisaille, quand ce n’est pas la harpe aux cordes coupées du brouillard qui donne le la dès le matin. »
L’auteur associe habilement les couleurs aux sons des instruments de musique : synesthésie ou évocation d’une future folie ?
« Le garçon porte une veste et un chapeau ; il n’y a que les fils de gueux qui se promènent en bras de chemise et sans couvre-chef. Son feutre au bord très large lui donne un air étrange, un air d’étranger ; les gens d’ici portent tous l’éternelle casquette… »
« Les murs sont gris. Les gens sont pâles. La boue est ocre. Le soleil ne peut pas faire sortir des couleurs qui n’existent pas. »
Sa gouvernante lui apprend la technique du fusain et lui montre un livre avec des tableaux en couleur. « Vincent aimerait s’essayer à l’aquarelle, mais son père prétend que Dieu a créé le monde en noir et blanc, et que c’est le diable qui a pris le pinceau pour mettre du rouge sur les joues des femmes. Saskia avait les pommettes et les bouts des seins roses… »

La deuxième femme se nomme Agostina et la scène se passe à Paris. C’est l’hiver 1887. Agostina est venue à Paris depuis son Ancône natal pour « faire le modèle ». D’abord pour Manet qu’elle n’aimait pas, puis Corot, puis un peintre orientaliste « faux-cul ». Maintenant elle tient un bar où Vincent vient boire de l’absinthe. Les connaisseurs ont reconnu Agostina Segatori et son café du Tambourin. Les murs du bar sont remplis des tableaux de Vincent. Van Gogh est pauvre, à peine habillé, ses souliers sont troués. Il en a peint beaucoup ces années-là.  Il boit plus qu’il ne mange. On retrouve l’ambiance des tableaux de Toulouse Lautrec. Van Gogh rêve de l’Italie, il évoque Rubens qui s’y sentait si bien. Mais Agostina a connu la misère en Italie et ne veut pour rien au monde y retourner. Agostina l’appelle Van, comme Ludwig van Beethoven.
« Sourds tous les deux. Il ressemble un peu au grand compositeur allemand. Les cheveux en pétard. Le front nu, comme un champ en hiver. Le menton hésitant entre fuir et faire face. Mais c’est surtout autour des yeux que ça se joue. Tous deux ont les yeux à l’ombre de l’arcade sourcilière saillante. Tous deux, même quand ils regardent, ne voient pas. Leur regard est une espèce de massue. Il se retourne contre son maître comme un bouledogue ayant la rage. On dirait qu’ils louchent vers l’intérieur de leurs têtes. »

La troisième femme s’appelle Gabrielle.  Elle n’aura quasiment pas l’occasion de croiser Vincent et ce sera beaucoup trop tard. Mais comme Saskia et Agostina c’est une femme forte, au caractère bien trempé. Toutes ces femmes ont une forte personnalité qui tranche avec le portrait qui est fait de Vincent en enfant peureux, de Van Gogh en adulte rêveur, du suicidé qui souffre.

Une lecture attentive permet de dénicher bien des tableaux qui se cachent dans ces belles descriptions où tous les sens sont convoqués. Mika Biermann est amoureux et connaisseur de la peinture et des peintres et aime le faire partager.

Nadine Dutier 
(29/01/24)    



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Anacharsis

(Janvier 2020)
96 pages - 13 €














Mika Biermann,
né en 1959 en Allemagne, a étudié aux Beaux-Arts de Berlin. Il s'est installé en1986 à Marseille où il exerce la profession de guide-conférencier de musées. Il a déjà publié une dizaine de livres.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia






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