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Mika BIERMANN

Trois jours dans la vie de Paul Cézanne



Une plume virtuose, celle de Mika Biermann, au service d’un pinceau de génie, celui de Paul Cézanne !
Trois jours dans la vie de Paul Cézanne est un roman éblouissant dans lequel l’auteur restitue au plus juste et au plus près l’œuvre et la personnalité de « Peintre Paul ».
Tel le peintre accordant l’attention la plus aiguë aux apparences, l’écrivain élabore son récit avec un soin extrême.

L’histoire qu’il relate n’est pas tant à lire comme il se doit dans un livre, qu’à contempler, à entendre, à vivre.
L’auteur procure au lecteur l’incroyable sensation d’être physiquement plongé au cœur même de l’intrigue.
Il s’agit, comme l’on dit désormais, d’une œuvre immersive.

La couleur est omniprésente, franche, pure, combinée, nuancée... Toute la palette de Cézanne s’étale sous nos yeux et s’invite jusque sur nos doigts tournant les pages.
Les paysages éclatent, éclaboussent de lumière ou au contraire se renfrognent dans une obscurité impénétrable. Un jeu de cache-cache entre soleil, nuages, et ombre, imprègne notre regard des changements météorologiques, et de la course du temps.
Certains points de vue n’offrent à l’œil que des contours. Cette sobriété profite au simple trait, gommant ainsi pour un moment la fameuse querelle entre les tenants de la couleur et ceux du dessin. Conflit qui n’épargna pas Cézanne.

La sonorité du texte n’est pas en reste. Le peintre travaille « sur le motif ». Une occasion pour que les oreilles du lecteur perçoivent que « Le soleil est un gong ; l’ombre un air de flûte », que « Les étoiles bruissent », que « Le foie râle. Le poumon siffle. Le cœur ânonne, bave et bégaie » 
Au-delà des qualificatifs, Mika Biermann utilise des procédés stylistiques, à l’instar d’un Jean Racine... Ici, pas de serpents qui sifflent sur nos têtes (sous nos pieds, garrigue oblige), mais « les deux barbus qui boivent dans leurs bols » « un contremaître assis sur un tonneau qui chique et crache dans les coquelicots », et bien d’autres encore, régalent notre ouïe.

À ces sensations fortes s’ajoutent le tempo de l’écriture, minimaliste et fulgurant lorsque l’action s’accélère ; puis des données olfactives, gustatives, hygrométriques et tactiles... Bienvenue au cœur de l’univers méridional de Peintre Paul !
Un univers artistique mais pas idyllique...
L’écrivain brosse à petites touches expressives une personnalité déroutante.
Paul Cézanne était un être contradictoire, dénué de joie de vivre.
La peinture l’obsédait, s’imposait à lui, mais lui pesait !
La compagnie l’importunait. Il était maladivement réfractaire aux contacts physiques.
Rustre, il rabrouait et malmenait son entourage.

Quant à ses congénères artistes, et l’auteur en cite bon nombre, peu méritait son approbation, la majorité recevait son mépris.

Zola ne fait pas partie du tableau. Ce qui peut s’expliquer simplement. D’une part, il n’était pas peintre, d’autre part, les relations entre les deux hommes étaient distendues à cette époque. Distendues mais pas rompues, comme attesté récemment par Henri Mitterand.
Or, l’hommage rendu à Paul Cézanne dans ce beau roman à l’atmosphère si crue, si rude, si contrastée, si poignante, si... réaliste, ne pourrait-il contenir en filigrane la figure d’Émile Zola ? 
Une secrète réunion des deux amis, en quelque sorte...
Pas si secrète que cela d’ailleurs pour qui sait décoder la toute fin du livre.
Dans ses dernières pages se concentre toute l’humanité, celle qui entoure le peintre et la sienne propre. Car oui, Paul Cézanne présentait l’allure d’un ours mal léché, mais son for intérieur blessé par l’incompréhension de ses pairs, était à vif. Une blessure saignante qui arme son bras, « lève le pinceau et fait une tache sur sa toile ».

Catherine Arvel 
(13/01/20)    



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Anacharsis

(Janvier 2020)
96 pages - 12 €














Mika Biermann,
né en 1959 en Allemagne, a étudié aux Beaux-Arts de Berlin. Il s'est installé en1986 à Marseille où il exerce la profession de guide-conférencier de musées. Trois jours dans la vie de Cézanne est son huitième roman.