Joyce Carol OATES

Viol
Une histoire d'amour



C'est le soir du 4 juillet, fête nationale, le soir où les hommes d’une petite ville du nord des Etats-Unis, près des chutes du Niagara, se laissent aller à la boisson, à la violence. Cette nuit-là, Tina Maguire, libre et séduisante veuve de trente ans, accompagnée de sa fille, Berthie, douze ans, choisit de couper par le parc plutôt que d'en faire le tour pour rentrer chez elles. Une inconscience qu’elles paieront cher car une bande de cinq adolescents camés, en plein délire et en mal de sexe, rôde. Le hangar à bateaux isolé au fond du parc servira de décor à un viol collectif d’une sauvagerie absolue. La petite, brutalisée, terrifiée, a pu se réfugier dans l’obscurité sous les canoës. De là, elle ne verra rien mais aucun des cris de sa mère, aucune des insultes salaces des voyous ne lui seront épargnés.

Au matin, dans le silence, quand l’enfant ose sortir de sa cachette, elle bute sur le corps de sa mère, baignant dans son sang, comme morte, et parvient, miraculeusement, à trouver la force d‘aller sur la route chercher des secours. Son ange gardien aura les traits de John Dromoor, vétéran de la première guerre du Golfe, devenu policier. Il donnera l’alerte assez rapidement pour que Tina, malgré ses blessures et son état comateux, soit sauvée.

Avec la mère de Tina, c’est le seul allié qu'elles vont trouver par la suite, quand les voisins se détournent et disent "elle le cherchait cette garce", lorsque les accusés nient, que les avocats accusent, que les violeurs, conseillés par un as du barreau payé à prix d’or, invoquent contre l’évidence des actes consentis.

Face au poids des accusations et du doute qu'elle lit dans le regard des autres, la mère préfère se taire, renoncer au procès et se réfugier dans l’alcool. Pour la fille, témoin du drame au cœur de la calomnie, victime co-latérale à l’enfance brutalement sacrifiée, il y a désormais le silence, la peur, la solitude et une admiration confiante et passionnée pour ce sauveur qui la protège de loin.

Mais quand la justice déraille, qu’elle s’emploie plus à défendre le droit des accusés, hommes blancs issus de classe moyenne, que des victimes qui ont pour torts essentiels d’être femmes et noires, la tentation d’appliquer la loi du Talion n’est jamais loin. L’ange gardien, encore sous le choc de sa découverte de ce corps atrocement mutilé sous du hangar, ému par cette fillette aimante et brisée, par cette mère à la dérive à laquelle on a volé même l’honneur, révolté par la médiocrité de la presse, des voisins et l’iniquité de la justice, y succombera et endossera le costume du justicier.

Les sujets abordés dans ce roman, entre viol et auto-justice, rendaient l’exercice délicat. Mais le talent de Joyce Carol Oates, auteur prolifique et titulaire d'une des plus prestigieuses chaires d'enseignement de la littérature à Princeton, l'autorise à toutes les audaces. Elle avait déjà évoqué le viol d’une fille de 16 ans et ses conséquences pour une famille modèle, incarnation parfaite de "l’American way of life" et de ses vertus dans Nous étions les Mulvaney. Mais associer "viol" et "amour" sur une couverture pourrait paraître une provocation si le lecteur ne s’apercevait vite que cette descente aux enfers décortiquée point par point en chapitres brefs, se double aussi d’une histoire d'amour protéiforme. Celle d'une femme avec la vie, celle d'une enfant pour sa mère et pour son sauveur, celle d'un flic pour la justice. Cette fable morale, incisive et brutale qui met sous les projecteurs la violence à l’état brut, les absurdités sociétales et la mesquinerie de l'opinion publique et de la presse sait s’en tenir essentiellement aux faits et en bannissant tout commentaire, elle se démarque d’un voyeurisme malsain ou d’une quelconque incitation à se faire justice soi-même.

En bon auteur de polars – sous le pseudo de R. Smith –, J. C. Oates construit son récit autour du non-dit. Ce qui est suggéré est plus fort que ce qui est explicite. La victime n’a pratiquement pas la parole, comme pour mieux montrer que la douleur est toujours indicible. Au premier abord désordonné, cet étrange récit prend ainsi forme à la façon d'un puzzle en se focalisant tour à tour sur chacun des personnages.

Le viol est un crime, nous réaffirme fortement l’auteur dans ce texte singulier. Mais derrière la colère pointe un réel attachement pour ces personnages qui se battent et se débattent contre la souffrance et l’injustice en conservant malgré tout une petite lueur d’espoir.

Après Les Chutes, prix femina étranger 2005, Joyce Carol Oates nous offre ici une histoire poignante d'amour et de vengeance à laquelle il est difficile de rester indifférent.

Dominique Baillon-Lalande 
(21/09/06)    



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Editions Philippe Rey
176 pages
15 €

Traduction
Claude Seban



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de l'éditeur :
www.philippe-Rey.fr






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