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Hubert MINGARELLI


La lettre de Buenos Aires



Neuf nouvelles, neufs personnages, neuf histoires d'errance, de solitude, de disparition et d'amitié.

Dans la première, un homme, entre terre et mer, vit seul, de manière frustre, avec pour compagnie une souris. De loin, il lui parle mais se garde bien de lui ouvrir la porte. "Comment risquer d'avoir faim pour une souris ? A une époque de ma vie, j'ai eu faim, et même si cette époque est lointaine et révolue, elle est toujours là tapie dans un coin de ma tête et dans mon estomac. J'ai connu pas mal de choses dans ma vie, beaucoup sont parties avec le vent, et il n'en reste presque rien. La rage et le désespoir, le froid et le chagrin ont un jour frappé à ma porte, et je les ai presque oubliés, mais pas la faim. Et je ne peux compter que sur mes propres provisions." Quand il entraperçoit une scène d'hommes poursuivis en fuite vers la mer, du toit où il est monté vérifier l'état des bardeaux avant l'hiver, il se sent tout à coup bien fragile... (Un seul est parti)

Puis on passe une soirée autour d'un feu dans la montagne qui se peuple de fantômes avec un homme accompagné d'un adolescent (La beauté des choses) ou on entre dans l'intimité d'une conversation entre deux jeunes amis, assis, côte à côte, au-dessus d'un torrent dans le blanc du givre et de la glace, le noir du deuil avec soudain tangible le sentiment d'une fin, d'un temps où rien ne sera plus comme avant (Sur le pont). Des inconnus aussi se croisent et partagent l'instant, comme ces deux soldats, affamés, épuisés, frigorifiés, qui sur le chemin du retour chez eux, s'abritent pour la nuit dans le même hangar en tôle abandonné et se livrent à demi-mots :
"– Je ne veux pas rentrer chez moi avec tout ça à l'intérieur. Je voudrais m'en délester un peu avant d'arriver. Tu vois, pleurer un bon coup. Mais j'y arrive pas. (...) Ce que j'ai à l'intérieur, je ne veux pas leur mettre sur le dos. Ils n'y sont pour rien ceux qui m'attendent. (…) A quoi ça servirait ?
– Combien ça t'en retirera de malheur, si tu pleures un coup ?
– Un peu, me dit-il. C'est suffisant.
" (Qui se souviendra de nous ?)
Dans la même veine, l'histoire d'un marin qui, à la fin de son engagement dans la marine marchande, "fuyant l'océan et les hommes d'un cœur léger", se retire dans une clairière isolée au cœur de la forêt. Challenge de survie en contact avec la nature. (Pas d'hommes pas d'ours)

Parfois le sort vient contrarier les intentions, comme pour ce vieillard fragile collectionneur de plumes qui voudrait sans succès témoigner à un procès (La plume), l'équipage du bateau, accosté à Port-au-Prince, qui reste consigné à bord avec ses rêves en berne quand le crime s'affiche sur le quai (Port-au-Prince), ou la virée en bateau sur la rivière de deux frères orphelins très proches confrontés à la bêtise et la violence d'un paysan belliqueux (Elie).

Pour finir la nouvelle titre, la plus longue (quarante pages alors qu'aucune des autres ne dépasse la quinzaine) a pour personnage un vieil homme revenu finir sa vie en Europe après avoir vécu à Buenos Aires. Là-bas, il y longtemps, il a écrit à son fils qu'il n'a jamais vu, une longue lettre, aujourd'hui perdue mais qu'il transmet de façon orale et fragmentaire à un passant de hasard… (La lettre de Buenos Aires)

Les personnages, ordinaires, toujours si proches de nous, touchants, seuls ou à deux, vivent chacun leur voyage avec, autour d'eux, une nature qui recèle "la beauté des choses" pour qui sait la voir. "Je regardais vers le sommet de la montagne, vers les crêtes. Le soleil les illuminait en jaune et en violet. Ici nous étions le soir, mais là-haut, tout brillait comme en plein jour. Je trouvais ça digne d'être observé. Il y avait là de quoi méditer. C'était simple mais stupéfiant. J'y voyais là l'essence des choses."

Mais le monde extérieur, lui, s'avère souvent hostile voire menaçant et survivre est difficile. Dans la maison du bord de mer, en forêt, en Argentine ou au retour de guerre dans un pays dévasté, se nourrir peut être parfois une préoccupation majeure.

L'auteur fait se croiser dans un temps en suspension ces voyageurs lestés d'un passé impénétrable, des solitaires sans attaches à la tendresse bourrue et aux rêves à la dérive. Mais ici, le moment du récit n'est pas dans la violence ou le désespoir. La temporalité choisie est, le plus souvent, celle des brumes du souvenir, de l'après, au seuil de l'apaisement. La réalité est sans pitié mais parfois la mélancolie qui affleure à l'issue des combats, par sa douceur, ressemblerait déjà à une promesse. Confrontés aux mystères de la vie et de la nature, protégés par instants en son sein comme par une mère, ces hommes humbles, fragiles, blessés, souvent perdus, noyés dans le silence, cheminent vers la réconciliation, emplis de l'espoir d'atteindre une impossible sérénité. La fraternelle complicité, parfois, fait le reste.

Ce sont des fragments de vie, à hauteur d'homme, pleins de mystères, de drames sous-jacents, de petits bonheurs, que l'auteur nous livre comme des trésors avec pudeur et poésie.
Portée par des phrases courtes et simples bercées d'une musique délicate, presque secrète, la voix ténue de l'écrivain, de livre en livre, reste la même, pleine d'images, d'odeurs, de bruissements mais réinventant à chaque fois, magnifiquement, l'enchantement du lecteur.
Un concentré d'humanité. Une magie qui ne se dément pas.

Dominique Baillon-Lalande 
(27/02/11)    



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Lectures










Éditions Buchet-Chastel

192 pages - 15 €









Hubert Mingarelli,
né en 1956, a obtenu le prix Médicis en 2003 pour Quatre soldats.


Prix Médicis 2003







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