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Marie-Florence EHRET

Avec ou sans papiers



Exister est compliqué. Vivre dans son pays d’origine est parfois quasiment impossible mais vivre ailleurs, dans un autre pays, est souvent redoutable. En effet, beaucoup d’exclusion existe. "L’étranger" fait toujours peur. Le rejet de l’autre n’est constructif pour personne. En effet, échanger peut être si enrichissant que s’en priver est vraiment regrettable. On ne dira jamais assez que la vie est courte et qu’il vaudrait mieux donner la priorité à la rencontre entre les êtres plutôt que de se replier dans une attitude de défense de son territoire, de ses intérêts personnels. La guerre, la famine, la pauvreté obligent des êtres à s’exiler. Ils se font très souvent exploiter puis rejeter. Les liens se distendent tellement entre les êtres, entre les nantis et les autres, entre les chefs d’entreprise et les employés… que les responsabilités se diluent et que l’humain disparaît peu à peu.

Marie-Florence Ehret montre dans son recueil de nouvelles à quel point rester humain, être à l’écoute de l’autre, être solidaire… peut enrichir et donner une force de vie. Elle nous présente non pas des "étrangers" mais des êtres humains avec leur histoire, leurs doutes, leurs désirs, leur détresse…

Une jeune femme se fait passer pour une autre avec de faux papiers, sa mère est malienne et son père français l’a abandonnée ; une jeune femme ne comprend pas pourquoi on ne veut plus d’elle sur le sol français : « Elle avait voté pour ce nouveau président qui promettait de rétablir en France ces valeurs qu'elle avait toujours scrupuleusement respectées : l'honnêteté, le travail bien fait, la propreté... Jamais elle n'avait volé une minute à son patron, laissé derrière elle un carrelage mal lavé, mesuré ni économisé sa peine. De père et de mère portugaise, elle avait pris la nationalité française et elle avait fièrement voté pour une France nouvelle où tout le monde deviendrait comme elle. Et maintenant voilà que son cher président voulait la renvoyer au Portugal ! » Le ridicule d’une telle décision est traitée par l’absurde par Marie-Florence Ehret.

Une jeune femme est violée et tuée, on se mobilise peu pour la rechercher, elle était employée comme bonne à tout faire… mais la mort continue à rôder.
Un Égyptien voudrait un certificat d’hébergement. Une femme vit dans un petit appartement mais elle est prête à l’aider.
Isabelle et Arthur ont vu pousser les immeubles autour de leur jardin et de leur maison. Un mystérieux phénomène inquiète tout le quartier. Les fleurs de géranium sont coupées pendant la nuit. Tout le monde se mobilise et devient solidaire pour sauver "le beau".
Un homme en prison dessine. Il est doué mais il se sent nul dans la vie. La vie est difficile pour lui : « En prison, la drogue lui manquait moins qu’à l’extérieur. Peut-être parce qu’ici tout manquait, et qu’on pouvait se résigner, en attendant la libération à manquer de tout. Mais dehors, quelle libération pouvait-on espérer, alors que tout continuait à manquer ? »
Une femme oublie une fleur dans le train. Elle voulait l’offrir à sa mère. Elle retourne à la gare pour demander aux employés s’ils ont vu sa fleur… C’est une fleur, à la fois si peu et tout. Elle était pour sa mère.

Un Africain rencontre une femme blanche qui lui fait visiter le 18e arrondissement. Ils voyagent ensemble dans Paris. Salem est un bel homme noir : « Très vite, on se salua, mon bel Africain et moi. Rien d'extraordinaire. Dans mon pays, à la Goutte d'or, nous ne sommes ni aveugles, ni transparents. On se saluait donc, d'un sourire dans les yeux, d'un mouvement de tête, d'un mot. Cela n'allait pas plus loin, et cela nous suffisait. Nous ne savions rien l'un de l'autre, sinon l'essentiel. » Il disparaît puis il revient…
La narratrice évoque les problèmes du Darfour, de l’Afrique. Elle croit reconnaître son bel Africain dans un musée : « C'était lui, sculpté avec un réalisme effrayant, c'était lui, ou plutôt son absence. Une absence dure et froide comme le marbre, que rien ne pouvait remplir ou effacer.
"Salem, nègre du Soudan", disait l'étiquette. "Loiseau-Rousseau 1897"
Je restai longtemps interloquée à contempler ce visage qui ressemblait de si près à un visage vivant, cet objet, produit par un atelier de fonderie, à partir d'un moule creux – pris directement peut-être, à même la chair... Je passais la main sur le marbre froid qui imitait la laine du burnous, osais frôler les lèvres dures. 
»

Des illustrations de Marion Claeys, en noir et blanc, accompagnent ce recueil qui nous dit à quel point rester humain est essentiel.

Les éditions Chant d’orties poursuivent leur route avec l’objectif de promouvoir la littérature sociale sous toutes ses formes. « Nous vous proposons donc des recueils de nouvelles, des romans, ainsi que des livres pour la jeunesse et des albums qui s'inscrivent dans une mise en question de notre société. »
Le but est bien atteint.

Marie-Florence Ehret grâce à son écriture et ses personnages nous permet de pénétrer dans différents univers où l’humain reste le pivot principal. Une belle réussite où la littérature et les idées se mêlent pour le meilleur.

Brigitte Aubonnet 
(07/07/10)   



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Éditions Chant d'orties

128 pages - 12 €








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Marie-Florence Ehret








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