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Régine DETAMBEL

Son corps extrême



Des ouvriers marocains travaillent de nuit. Témoins d'une pluie d'étoiles au milieu de leur vie difficile, ils assistent à l'accident de voiture d'une femme, Alice, dont nous allons suivre le parcours. Dans le coma, son corps est en morceaux. Nous pénétrons dans l'intime des bruits intérieurs et extérieurs de ce corps abîmé.

Les proches d'Alice, David son fils, Sophian son frère qui a vu Jésus en apparition sur les pare-brises, sa mère Cather dépressive, lui rendent visitent. Dans la solitude de tout ce que son corps lui refuse, Alice après l'arrêt brutal causé par son accident, porte un nouveau regard sur la vie, sur le passé, sur son histoire. Elle est en suspens : "L'extrême de l'allègement. Alice jouit du bonheur de se fondre dans la masse, de n'avoir plus à décider du bien et du mal. Aubaine que d'être dépouillée de la pénible tâche de penser, libre du carcan des conventions et des manières, ne répondant rien quand on lui parle, n'ouvrant pas la bouche quand on lui donne à manger. Le vide est un baume aux tourments de soi. Une terrible et merveilleuse dispense d'humanité."

Oublier son passé, se redéfinir nouvelle, voilà le défi d'Alice : "Voilà, c'est arrivé, son rêve a été exaucé : pouvoir repartir de zéro, avec une ardoise nette, changer de forme, disparaître et resurgir plus tard en étant quelqu'un d'autre. C'est réussi. La table est rase."

Se mettre debout entre deux barres est le début d'un nouveau départ mais le travail sera douloureux : "Les lunettes du kiné sont pleines de buée qui occulte son regard. Un exécuteur des basses œuvres est toujours masqué. La pression de ce démon sur sa jambe ne se relâche pas. Il explore tous les angles de sa chair en marmottant malédictions et damnations : Serrez, serrez, poussez, poussez, tendez. Mais la main qu'il glisse entre ses cuisses garde toujours la même ferveur professionnelle. A chaque craquement, Alice a l'impression qu'il vient de tailler un nouveau cran dans ses cartilages."
Entourée de rééducateurs, d'un psychologue nous vivons chaque nouveau pas d'Alice ballottée entre son passé, parfois terrible, et son présent qu'elle doit reconstruire complètement.

Peu d'émotions pour Alice qui n'a guère reçu d'affection de sa mère, seule la reconquête de son corps dans le bruit des os qui craquent marque la détermination de cette femme.
Régine Detambel qui a déjà exploré l'intérieur du corps dans La ligne âpre en décrivant les os, et l'enveloppe du corps dans son essai Petit éloge de la peau, nous présente son personnage qui cherche à retrouver un nouveau corps, de nouveaux os, une nouvelle peau, une nouvelle vie et se reconstruire pas à pas mentalement et physiquement. L'écriture efficace de Régine Detambel agit comme la gouge d'un sculpteur qui taille dans la pierre pour en extraire son œuvre.

Brigitte Aubonnet 
(26/09/11)   



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Editions Actes Sud

160 pages - 17 €




Pour visiter le site de Régine Detambel :
www.detambel.com





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